« Éric Zemmour et l’islam » – 3 questions à Asif Arif

Asif Arif est avocat au Barreau de Paris, auteur de plusieurs ouvrages et conférencier intervenant sur les questions de fait religieux, de terrorisme, d’islam et de laïcité. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Éric Zemmour et l’islam – Analyse et déconstruction d’un discours teinté de manipulation » aux éditions L’Harmattan.

Selon vous, Éric Zemmour confond islam et islamisme.

Oui, et il semble que cette confusion soit entretenue soit pour des raisons de positionnement médiatique, soit pour des raisons de positionnement politique. Je m’explique : nous savons que depuis plusieurs années désormais, le débat public a tendance à utiliser des mots qui sonnent « forts » et décrivent de manière peu claire les concepts auxquels ils renvoient. Je pense notamment aux termes de « communautarisme », « banlieue », « islamisme », « jihadisme ».

Ces termes entretiennent une fonction de peur et disqualifient ceux qui seraient les banlieusards, les jihadistes ou les communautaristes. Leur utilisation est donc politique : disqualifier les propos de son adversaire, l’avilir ou lui casser sa crédibilité. Éric Zemmour utilise quant à lui le terme d’islamisme pour décrire des terroristes alors que beaucoup d’ouvrages (Maréchal, Les Frères musulmans en Europe) démontrent que ce n’est ni systématique, ni aussi simple. Éric Zemmour va plus loin puisqu’il demande aux musulmans d’abandonner leur religion parce que tout musulman qui pratique est un islamiste.

Cette simplification à l’outrance des notions élémentaires semble peu propice à un débat calme, vous en conviendrez. Il me fallait donc expliquer qu’Éric Zemmour pense que le musulman qui pratique est un danger pour la civilisation française, ce qui est absolument faux, évidemment.

Vous soulignez la contradiction de se déclarer laïque et de vouloir organiser spécifiquement une religion.

Oui, la laïcité suppose la neutralité de l’État à l’égard des administrés afin que l’État, ne reconnaissant aucune religion, n’entre pas en voie de discrimination à l’égard d’un administré (utilisateur du service public par exemple). Ainsi, si l’État ne reconnait pas de religion, il reconnait par la même occasion son incompétence à pour décider, ordonner ou prendre des décisions en matière – ce qui n’empêche pas, évidemment, d’administrer sans pour autant interférer. Comme on le voit, la question de la laïcité renvoie à la notion d’équilibre institutionnel et est très fragile surtout dans les temps récents où celle-ci est largement instrumentalisée, voire politisée (Arif, Être musulman en France).

Lorsqu’Éric Zemmour demande ainsi aux musulmans d’abandonner leur religion il commet ici une double erreur : la première étant de considérer que le principe de laïcité permet à l’État de décider de la religiosité des individus. La deuxième consiste à considérer que l’État décide si un individu a le droit de pratiquer une religion ou non. Le représentant de la République n’a pas à dicter le choix religieux des individus ou la pratique religieuse des individus car, si l’on suit cette trajectoire, l’État n’est plus neutre, il est prescripteur de règles en matière religieuse, ce qui est précisément le contraire de ce qui est voulu par le principe de laïcité.

Selon vous, Éric Zemmour déforme également le Coran.

Éric Zemmour déforme les termes du Coran mais également son historicité. Il sépare sournoisement la période mecquoise de la période médinoise pour essayer d’introduire des différences et, in fine, des contradictions. Or, la période médinoise – qui insupporte Éric Zemmour – est également celle pendant laquelle la Charte de Médine a été consacrée. Cela est évidemment totalement occulté dans son raisonnement. Voici comment Éric Zemmour joue de la fonction d’historien (qu’il n’a pas) face à un public pas – ou très peu – averti.

Enfin, Éric Zemmour est également un véritable professionnel du remaniement des mots, des versets et des contextes. Sur le jihad, par exemple, Éric Zemmour omet les versets d’avant et les versets d’après pour se concentrer sur une phrase particulière. C’est ce que mon livre vise à déconstruire.

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