Chaînes d’information en continu : attention à l’hystérisation des débats

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Sur les chaînes d’information en continu, les débats prennent un temps d’antenne important. Les chaînes en sont friandes, car ils sont peu coûteux, nettement moins qu’un reportage, et encore moins qu’un documentaire.

Ils peuvent satisfaire le goût des Français pour la confrontation d’idées et les échanges contradictoires. On peut se réjouir de cet appétit, signe de vitalité intellectuelle et démocratique, et de liberté d’expression.

Il y a cependant comme pour tout phénomène le risque d’un effet pervers. Il consiste ici à ce que la polémique ne soit pas l’exception acceptable, mais devienne l’objectif, et que les positions extrêmes soient privilégiées parce qu’elles accrochent plus le téléspectateur ou l’auditeur. L’explication et la pédagogie sont considérées dès lors comme ternes et ennuyeuses, de nature à faire chuter l’audimat. Les propos excessifs sont eux source de tensions qui captent l’audience et font le buzz, qu’il s’agisse de s’en indigner ou d’abonder en leur sens. Les diatribes, effets de manches et joutes sont plus facilement repris sur les réseaux sociaux, et renforcent la notoriété de l’émission. On assiste ainsi à des surenchères, personne ne voulant être en reste, chacun étant tenté d’en rajouter. Se couper la parole devient une impérieuse nécessité pour se faire remarquer, adopter un langage guerrier une ardente obligation pour capter l’attention.

Il faut reconnaître que, pour l’heure, cela fonctionne et que ce type d’émission tend à se développer, suscitant une curiosité du public parfois friand de pugilat verbal. Mais leurs responsables devraient peut-être réfléchir à leur crédibilité sur le long terme.

Le débat démocratique n’est pas les jeux du cirque ou une spectaculaire partie de catch. Avec la recherche de la surenchère, il y a le risque de vouloir inviter des débatteurs capables de tenir des propos fracassants, mais qui divisent encore plus notre société en diabolisant le contradicteur.

S’il était anormal auparavant de ne pas donner la parole à l’extrême droite dans les médias, on constate par ailleurs aujourd’hui une surreprésentation de ses porte-paroles, y compris parmi ceux qui déguisent leur discours de haine en se revendiquant de gauche – et qui d’ailleurs ne sont reconnues de gauche que par eux-mêmes -, et par les personnalités de droite qui s’assument.

Dans les nouveaux castings annoncés pour cette rentrée – et  dans ceux existant déjà -, on retrouve trop souvent des personnes qui ne se sont pas signalées par des travaux de qualité mais par leur capacité à manier l’insulte, qui ne sont pas connues pour leur intégrité mais par leur propension à raconter des bobards, qui revendiquent des titres de responsables associatifs qui ne sont que des structures vides dont ils sont quasi les seuls membres et dont les titres ronflants tentent de masquer l’absence d’actions réelles de terrain, de personnes qui ont sollicité – sous différentes étiquettes politiques – le suffrage de leurs concitoyens et n’ont pas été élues. De ceux-là, on peut douter à la fois de leur impact et de leur sincérité.

Il semble que la capacité à s’enflammer pour fustiger pêle-mêle les Arabes, les musulmans, l’islam, les jeunes des quartiers et les militants anti-racistes dans des développements frisant le complotisme, soit considérée comme un critère positif de recrutement.

À terme, la crédibilité des médias sera nécessairement mise en cause, car les supercheries seront mises à jour. Entre-temps, les thèses d’extrême droite continueront de progresser, de devenir la référence centrale.

Pourtant, d’autres émissions montrent que le débat respectueux et le souci d’éclairer le public trouvent un auditoire conséquent.

Des personnalités honorables refusent désormais de participer à des débats qu’ils jugent trop hystériques et ne permettant pas de développer des raisonnements articulés. Ils laissent de ce fait le champ libre à ceux qui réfléchissent comme des mitraillettes.

L’hystérisation des débats ne constitue pas un progrès démocratique, mais au contraire une perversion de l’argumentation contradictoire. N’est-il pas dangereux à terme que les déclarations façon marteau-piqueur deviennent la norme ?