La France face à la Chine, que faire ? (4/4) – La France, l’UE et la Chine

PARIS, FRANCE - MARCH 26: French President Emmanuel Macron and Chinese President Xi Jinping during a meeting for talks on building a new global governance at the Elysee Palace in Paris, France, 26 March 2019. (Photo by Antoine Gyori /Corbis via Getty Images)

Comment la France doit-elle organiser sa relation avec la Chine ? Comment faire face à la future première puissance mondiale, dotée d’un système politique bien différent et qui ne constitue ni un allié ni un rival ? Quelles sont les divergences et les convergences à prendre en compte ? En somme, comment la France peut-elle définir ses intérêts ?

La Chine tente bien sûr de diviser l’Union européenne et sait qu’il est plus avantageux pour elle de gérer 27 ou 28 relations bilatérales que de négocier avec l’UE en bloc. En ce sens, la réponse d’Emmanuel Macron recevant Xi Jinping en 2019, accompagné d’Angela Merkel et de Jean-Claude Juncker constituait une stratégie pertinente. Mais la politique de la France à l’égard de la Chine ne doit pas être absorbée par l’UE, d’autant plus qu’elle ne dispose pas d’une approche commune sur certains sujets. L’Union doit ainsi être privilégiée pour tout ce qui a trait à l’économie et au commerce. Pour le reste, la France a intérêt à jouer sur les deux niveaux, puisque c’est pour cette même raison qu’elle compte davantage que les autres aux yeux de la Chine. Ni la France ni l’UE n’ont intérêt à faire leur la stratégie d’affrontement entre Washington et Pékin. La lutte pour la suprématie mondiale entre ces deux géants n’est pas leur affaire.

C’est encore plus vrai aujourd’hui. La France et l’Europe doivent fixer leur propre agenda, et non suivre à la lettre celui de Washington. D’autant plus que seul un aveuglement occidentaliste empêche de poser la véritable question : quel est le pays qui, aujourd’hui, porte le plus atteinte à la souveraineté des Européens, la Chine ou les États-Unis ? La Chine applique-t-elle une législation extraterritoriale ? S’est-elle retirée de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), de l’Accord de Paris sur le climat ? Empêche-t-elle de commercer avec l’Iran et Cuba, et demain avec d’autres pays, en menaçant de lourdes sanctions unilatérales en cas de désobéissance ? La justice chinoise a-t-elle contraint BNP Paribas à payer 9 milliards de pénalités ? Une entreprise chinoise a-t-elle absorbé un fleuron industriel français de type Alstom à la suite d’une manœuvre du ministère de la Justice ? Si le comportement de la Chine n’est peut-être pas toujours respectueux du droit international, s’est-elle, pour autant, lancée dans des opérations militaires d’envergure en violation de la charte des Nations unies, qui ont eu pour résultat la mort de dizaines de milliers de personnes, la déstabilisation de toute une région et le développement du terrorisme ? D.Trump traite les États membres de l’UE dans le meilleur des cas comme des vassaux, dans le pire comme des ennemis. Ce n’est pas une motivation pour suivre loyalement et de façon disciplinée sa stratégie, définie par des motifs uniquement nationaux.

La Chine et le monde : hégémonie ou puissance ? 

L’amiral Zheng He s’était lancé à la découverte de l’Afrique avec 300 navires et 30 000 hommes, une armada sans commune mesure avec les trois navires de 120 hommes chacun que dirigeait Christophe Colomb en route pour découvrir et conquérir l’Amérique. Pourtant, Zheng He, sur ordre de l’Empereur, n’a pas transformé la découverte en conquête. Les Chinois mettent souvent cet exemple en avant pour montrer qu’ils n’ont pas de tentation impérialiste, qu’ils ne se sont pas constitué un empire colonial comme les Européens, et qu’ils n’ont pas une vision messianique comme les États-Unis. Leur montée en puissance – qu’ils qualifient de pacifique – ne doit pas inquiéter : ils ne tomberont pas dans les travers des anciennes premières puissances mondiales, qui ont toutes, d’une façon ou d’une autre, cherché à imposer leur imperium aux autres nations.

D’autres éléments conduisent toutefois à une analyse plus pessimiste. L’attitude de Pékin en mer de Chine et son refus de la décision de la Cour d’arbitrage, par exemple, interpellent. Le projet stratégique des routes de la soie suscite des interrogations sur le fait qu’il puisse être à sens unique, et sur les pièges de la dette qu’il peut renfermer. L’évocation par la direction chinoise du multilatéralisme n’est pas toujours suivie de sa scrupuleuse mise en pratique. Face à la Chine, il importe donc d’éviter autant la naïveté que la paranoïa.

Sur des dossiers majeurs récents, de l’accord nucléaire iranien à la préservation de l’Accord de Paris sur le climat, les positions de Paris sont plus proches de celles de Pékin que de Washington. La France doit prendre en compte la dimension des droits humains au niveau interne et le respect du droit international au niveau externe, mais ne pas en faire un prétexte pour refuser toute relation avec un pays qui ne le respecte pas totalement, sauf à renoncer à toute politique étrangère active. Et ne pas tomber dans le piège de l’évocation à géométrie variable de ces principes moraux, à des fins purement d’affirmation de puissance. Il convient, en tout état de cause, de ne pas faire de la relation avec Pékin une variable d’ajustement de la relation avec Washington, mais bel et bien d’en fixer les termes en fonction de l’intérêt national de la France, et sortir ainsi du piège civilisationnel datant de la guerre froide, ramenant tout jugement stratégique au clivage occidental / non occidental.

 

J’ai publié, en janvier 2019, Requiem pour le monde occidental aux éditions Eyrolles.

 

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