« Profession diplomate – Un ambassadeur dans la tourmente » – 3 questions à Yves Aubin de la Messuzière

Ancien ambassadeur de France au Tchad, en Irak, en Tunisie et en Italie, Yves Aubin de la Messuzière répond à mes questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Profession diplomate – Un ambassadeur dans la tourmente » aux éditions Plon.

Vous avez écrit ce livre notamment parce que vous estimez que l’action diplomatique est caricaturée et ignorée, pourquoi un tel constat ?

Les préjugés sur la diplomatie et les diplomates peuplent la littérature et sont parfois relayés par les politiques et même la publicité. Dans « A la recherche du temps perdu » de Proust, le personnage du marquis de Norpois « ambassadeur au langage suranné, déversant une provision de sottises », alimente encore cette image préconçue, tandis que la publicité de Ferrero Rocher véhicule une image de luxe et de sensualité de la confiserie, supposée préférée des diplomates. Le mythe des dorures et de la tasse de thé a la vie dure. L’idée maîtresse de mon livre consiste à montrer, à travers une partie de mon parcours, notamment au Tchad et en Irak, la diversité et la complexité de l’action diplomatique, plus particulièrement dans les zones de crise. Le métier diplomatique a beaucoup évolué dans ce monde hyper connecté et il s’est encore davantage complexifié. A l’heure des réseaux sociaux et des « fake news », l’ambassadeur doit être un décrypteur des situations complexes, dont les analyses permettent d’anticiper les crises. La compétition économique mondiale lui impose de s’engager encore davantage dans la défense des intérêts commerciaux de notre pays, tandis que la multiplication des crises et des actions terroristes en fait un protecteur des communautés françaises expatriées.

Au moment où l’unilatéralisme de Trump est largement critiqué, vous qui étiez ambassadeur en Irak à la fin des années 1990, vous rappelez que la politique de Clinton et Albright à propos de l’Irak n’avait rien de multilatéraliste, pour quelles raisons ?

Sous le mandat de Clinton, la stratégie américaine consistait à contenir le régime de Saddam Hussein et non pas à le renverser. « We let him in his box », proclamait Madeleine Albright. Tout était fait pour empêcher la levée des sanctions et la commission chargée de découvrir les armes de destruction massive était instrumentalisée par Washington, qui n’avait de cesse de contourner l’ONU et son conseil de sécurité. Je raconte dans mon livre comment l’administration démocrate avait monté de toutes pièces des preuves de reprise d’un programme d’armements chimiques dans un palais présidentiel. J’ai contribué à démonter ce mensonge en visitant ce palais. L’initiative de Jacques Chirac de convaincre Kofi Annan de se rendre à Bagdad, en février 1998, pour convaincre Saddam Hussein d’ouvrir ses palais aux inspecteurs s’est heurtée, dans un premier temps, à l’hostilité des Américains. C’est en vain qu’ils ont fait pression sur le Secrétaire général de l’ONU pour qu’il ne signe pas le « Memorandum of understanding » qui a permis de résoudre la crise des Palais présidentiels.

Vous avez également été ambassadeur en Tunisie. Vous vous êtes depuis élevé contre l’idée selon laquelle la diplomatie française n’avait rien vu venir de la révolution de 2011. En quoi cette critique n’est-elle pas recevable ?

Effectivement, au lendemain du renversement de Ben Ali et de Moubarak, Nicolas Sarkozy s’en est pris « aux diplomates qui n’ont rien vu venir ». Critique gratuite, qui m’a amené à écrire un livre « Mes années Ben Ali » dans lequel j’ai publié, avec l’autorisation du Quai d’Orsay, plusieurs télégrammes diplomatiques analysant les risques encourus par le régime tunisien. L’un d’entre eux, adressé en mai 2003, s’intitulait « Réflexion prospective sur la Tunisie en 2010 ». Bien sûr, nous n’avions pas anticipé le scénario tel qu’il s’est déroulé en 2011, mais nos correspondances soulignaient les dérives du régime, son système de prédation de l’économie et surtout le mal-être de la jeunesse. Ils prévoyaient que l’alternance, le moment venu, serait islamiste. D’autres postes diplomatiques dans les pays arabes ont exercé leurs capacités d’analyse et d’anticipation qui forment le cœur du métier diplomatique. Le plus souvent, le problème vient des politiques installés dans leurs certitudes et ne prenant pas en compte les correspondances des ambassades.

 

Cet entretien est également disponible sur Mediapart Le Club.