« Et si on modifiait vraiment les règles du football » – 4 questions à Ludovic Ténèze

Ludovic Ténèze, professeur agrégé à l’UFR STAPS Paris Descartes, est titulaire du Diplôme d’État Supérieur, mention football. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son nouvel ouvrage « Et si on modifiait vraiment les règles du football, 99 propositions », aux éditions L’Harmattan.  

Qu’est-ce que l’« international football association board » ?

Cette institution surnommée le « Board », créée en 1886 par les quatre associations britanniques, accompagne les premiers pas d’une compétition regroupant les sélections nationales d’Angleterre, d’Écosse, du Pays de Galles et d’Irlande. En 1913, la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) devient membre du Board. Son influence est croissante, cependant il faut considérer que les Britanniques gardent le pouvoir sur les lois du football.

Il s’agit d’une instance internationale avec une compétence juridique particulière en charge du processus d’unification des règles et de leur application. Le Board peut décider de changer ou non la loi, expérimenter ou non une nouvelle règle. Il joue également le rôle du « gardien du temple », chargé de surveiller les règles du jeu sur l’ensemble de la planète. Cette instance a la réputation d’avoir su s’ériger en protecteur du jeu, mais aussi, paradoxalement, d’avoir réussi à faire évoluer les lois du jeu inventées au XIXe siècle.

Les lois du football sont-t-elle immuables ?

Les lois du jeu semblent gravées dans le marbre. La classification des 17 lois du jeu élaborée en 1938 par Stanley Rous, est la garante du secret de la réussite d’un jeu devenu le premier sport universel. Modifier cette classification s’apparente à un sacrilège.

Cependant, l’étude des archives du Board atteste d’une transformation importante, insoupçonnée et inconnue de chaque loi du jeu. À la lumière des comptes-rendus des 133 assemblées générales annuelles du Board, il est possible de dénicher plus de 700 tentatives de transformations. Celles-ci concernent la loi, les sanctions ou les décisions liées aux lois du jeu, qui peuvent être considérées comme de véritables décrets d’application, ou amendements de la loi.

Plus des deux-tiers des propositions ont été acceptées par le Board. Il faut retenir que celui-ci prend beaucoup de temps entre la proposition initiale et la modification à proprement dite. Par exemple pour le hors-jeu, le passage de la « règle des trois joueurs » à celle « des deux joueurs » est adopté en 1925 au bout de 31 ans ! Cette latence des décisions, invite à un réexamen minutieux des propositions rejetées déjà faites au Board depuis 1886. Parmi les multiples demandes de transformations des lois du jeu, certaines finiront par aboutir.

Ainsi, les « 99 propositions » émanent prioritairement des archives du Board, et notamment la tentative de rendre tous les coups francs directs, l’utilisation de cinq remplaçants, le jeu des touches au pied ou l’adoption de la règle des « 10 mètres » du rugby appliquée pour toute contestation des décisions de l’arbitre.

La tendance est-elle à la disparition progressive de l’aléatoire ?

L’institution sportive fait progressivement disparaitre l’aléatoire, ce qui la différencie des jeux traditionnels corporels.

Cette tendance se manifeste par l’apparition des filets en 1895, pour vérifier la validité du but, l’évolution de la « balle à terre » qui à l’origine s’exécutait en lançant de façon aléatoire le ballon en l’air et la possibilité de remplacer un joueur blessé. Le tirage au sort, à la fin des prolongations pour déterminer le vainqueur du match de Coupe, laisse la place au début des années 1970 à l’épreuve des tirs au but, qui permet aux actions motrices de décider du sort du match.

La quantification du temps additionnel préfigure sans doute de l’apparition d’une table de marque pour jouer au temps effectif comme au basket-ball. Cette proposition peut paraitre farfelue, pourtant elle émane de l’ancien triple ballon d’Or Marco van Basten, responsable du développement technique de la FIFA et répond à la volonté de redynamiser le football au XXIe siècle.

La technologie sur la ligne de but et l’assistance vidéo participent également à la réduction de l’aléa. La VAR (Video Assistant Replay) est devenue très rapidement un acteur du processus de transformation. Par exemple pour les fautes de mains, le débat s’engage avec des options diamétralement opposées.

D’une part, le Board peut décider dans l’esprit des lois de continuer de sanctionner uniquement les mains « volontaires » ou « intentionnelles » laissant une large place à l’interprétation.

D’autre part, si la tendance est de faciliter le travail de la VAR, les membres du Board vont décider de sanctionner toutes les mains, en conformité avec la disparition progressive de l’aléatoire. Une décision alléchante dans l’optique d’afficher, comme le fait la FIFA, un bilan de 99% de bonnes décisions arbitrales grâce à l’aide de la VAR.

On entend souvent « Il y a plus de violence dans le football qu’auparavant » : est-ce vrai ?

Non, c’est tout le contraire ! Pour s’en convaincre, il suffit de regarder des extraits de la Coupe du monde de 1974. Chaque action du match opposant l’Uruguay aux Pays-Bas semble d’une violence incroyable et une véritable ode aux tacles ! L’interdiction du tacle par derrière à partir de 1998 participe à la limitation du droit de charge, pour attaquer l’adversaire ou le déposséder du ballon.

La meilleure illustration de cette diminution du droit de charge reste l’exemple du gardien de but. En 1897, le Board décide qu’il peut être chargé quand il tient le ballon. Il est donc possible d’expédier honnêtement le gardien de but et le ballon dans le filet grâce à une charge correcte et loyale. L’équipe de France, marque sept buts entre 1907 et 1913 en projetant le gardien tenant le ballon, dans ses propres filets. L’attaquant Eugène Maës en avait fait une de ses spécialités. Un siècle plus tard, même si pour les Britanniques la charge reste d’une importance primordiale, le gardien apparait comme super protégé !

La balle au pied du XIXe siècle, stigmatisé par le « dribbling game » s’apparentait à un sport collectif de combat. La ligne d’affrontements, plutôt violente, confondue avec la ligne de hors-jeu flottante, a fait place à un sport de démarquage dans lequel les joueurs se disputent la possession du ballon, dans des duels hyper-réglementés. La manifestation d’une véritable euphémisation de la violence.

 

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