Guerre en Ukraine : accepter le réalisme, l’imposer à Moscou

Toujours pas d’accord de paix en vue concernant la guerre en Ukraine. La réunion à Istanbul, qui n’était pas un sommet, n’a pas débouché sur un cessez-le-feu, encore moins sur un accord de paix.

Les discussions ont tout de même a quand même permis des échanges de prisonniers, mesure humanitaire bienvenue. Et puis, il y a eu un échange direct entre Donald Trump et Vladimir Poutine qui n’a pas pu faire avancer les choses. Cette fameuse paix en 24 heures que Donald Trump avait annoncée n’est toujours pas intervenue, plus de 100 jours après son retour au pouvoir.

Vladimir Poutine, lui, reste campé sur ses positions. Il faut, selon lui, non seulement mettre fin à la guerre, mais également aux causes de la guerre. Ce qui explique ses exigences tout à fait incompatibles avec ce que souhaitent les Européens et les Ukrainiens.

La question est de savoir si les États-Unis vont, ou non, céder à la version de Vladimir Poutine. JD Vance, le vice-président américain, avait menacé que si aucun accord n’intervenait, les États-Unis laisseraient les différents protagonistes se débrouiller. Or, les Ukrainiens, s’ils perdaient non seulement l’aide militaire américaine, mais surtout le renseignement et les satellites, seraient dans une position très défavorable militairement à l’égard de la Russie.

Pour l’instant, Donald Trump n’en est pas là. Il a maintenu la fourniture d’une assistance matérielle, et surtout en matière de renseignement. L’Ukraine n’est pas totalement livrée à elle-même.

Quels pourraient être les termes d’un accord ?

Pendant très longtemps, Européens et Occidentaux se maintenaient dans une fiction que j’ai souvent dénoncé comme étant irréaliste pour s’être alignés sur les buts de guerre inaccessibles de Volodymyr Zelensky. L’Ukraine ne pourra pas récupérer les territoires perdus depuis 2022, et encore moins ceux perdus depuis 2014. Le chef d’état-major de l’armée américaine avait averti de cela dès octobre 2022. Le chef d’état-major de l’armée ukrainienne en a fait de même en octobre 2023. Il a été limogé.

Le rapport de force ne permet pas à l’Ukraine de reconquérir les territoires perdus. Quelle est l’alternative à l’abandon de cet objectif ? Maintenir une guerre dont on ne peut pas changer le cours ? Au prix de milliers de morts, de blessés, de mutilés ?

Il y a un autre point sur lequel l’irréalisme jouait auparavant et où le réalisme semble prévaloir désormais : l’Ukraine n’entrera pas dans l’OTAN. La fiction du choix ukrainien avait jusqu’ici été maintenue. Mais désormais, de nombreux pays européens refusent cette perspective, tout comme les États-Unis, y compris sous Joe Biden. A l’ère Trump II, l’Ukraine et les Européens acceptent des objectifs qu’ils ne voulaient pas accepter auparavant.

S’ouvre désormais le champ du possible. Un cessez-le-feu sur la ligne de front pourrait s’envisager, remettant à plus tard les questions territoriales. Il aurait a minima l’avantage de mettre fin à une guerre qui consomme des vies et des biens matériels pour rien.

En revanche, les exigences de Vladimir Poutine sont inacceptables. Il souhaite obtenir bien plus que la simple neutralité de l’Ukraine. Il voudrait que l’Ukraine se retire des territoires qu’elle contrôle pour l’instant mais que la Russie a annexé par un référendum sans aucune valeur sur le plan du droit international. Il est tout aussi inacceptable de demander le désarmement de l’Ukraine, qui la laisserait complètement démunie et qui serait une atteinte très grave à sa souveraineté. Il est important que sur ces points les Européens continuent à assurer l’Ukraine de leur soutien.

Et autant Donald Trump a amené l’Ukraine à plus de réalisme en acceptant un cessez-le-feu sur la ligne de front et en renonçant à l’intégration à l’OTAN, autant il serait complètement dysfonctionnel et très grave pour l’avenir de l’Ukraine et de sa souveraineté que soit exigé qu’elle se retire de territoires sur lesquels elle est encore présente militairement et surtout qu’elle accepte un désarmement.

Il faut effectivement que les Européens fassent pression sur Washington, non pas concernant l’irréalisable, mais bien sur ce qui est réalisable. Si les Européens et les États-Unis affirment fermement qu’ils continueront à aider l’Ukraine, que cette dernière ne sera pas désarmée, mais qu’effectivement l’objectif n’est plus de reconquérir les territoires perdus, une paix réaliste est envisageable. Vladimir Poutine pourrait être beaucoup plus contraint à l’accepter s’il sait que Donald Trump ne va pas tout lâcher, tout abandonner, et satisfaire toutes ses demandes.

Si l’objectif est bien de mettre fin à cette guerre qui a duré trop longtemps, il ne faut pas chercher des buts irréalistes. Il ne faut pas non plus accepter l’inacceptable. Il faut trouver la paix la moins injuste possible, qui conduise à un cessez-le-feu et à la fin des souffrances du peuple ukrainien, mais également du peuple russe.

Cet article est également disponible sur le blog de Mediapart et le site de l’IRIS.