Pour un partenariat stratégique France-Brésil dans un monde en crise

Par Pascal Boniface, fondateur et directeur de l’IRIS et Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS.

Les tragédies du monde rapprochent les points de vue de la France et du Brésil. Le 18 octobre 2023, Paris a voté en faveur de la résolution proposée par Brasilia au Conseil de sécurité des Nations unies sur la guerre entre Israël et le Hamas. Cette dernière, finalement bloquée par le véto des États-Unis, exigeait déjà, entre autres, des « pauses humanitaires » dans le conflit et réaffirmait la  « vision d’une région où deux États démocratiques, Israël et la Palestine, vivent côte à côte, en paix, à l’intérieur de frontières sûres et reconnues ».

Face à la multiplication des périls (sécuritaires, militaires, environnementaux et climatiques), des urgences (alimentaires, pauvreté, inégalités sociales, développement, fractures technologiques et numériques, etc.) et des dynamiques de fragmentation et de tensions géopolitiques à l’œuvre dans le monde qui s’intensifient à mesure que s’accroît la rivalité sino-américaine, l’heure est venue de lancer un partenariat stratégique franco-brésilien. Ce dernier ne peut servir qu’une seule ambition : œuvrer à l’organisation d’une transition ordonnée et juste du système international au profit de la construction d’un monde réellement multipolaire, démocratique, inclusif et solidaire qui garantisse une représentation équilibrée et renouvelée de l’ensemble des acteurs étatiques du XXIe siècle dans la gouvernance mondiale et une prise en compte effective des intérêts de tous.

Un tel partenariat s’impose comme une nécessité au moment où la fracture entre « The West versus The Rest » (l’Ouest contre le reste) s’approfondit de manière inquiétante et critique et que surgissent de toute part des promoteurs radicalisés du « choc des civilisations » qui menacent l’avenir du monde.  Dans ce contexte préoccupant, l’alliance entre un pays faisant partie du club des puissances occidentales, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, et un grand pays démocratique du « Sud global », puissance régionale latino-américaine respectée dans le monde entier et active sur le plan diplomatique, membre fondateur du G20 et des BRICS, prend tout son sens.

La France est une puissance occidentale, mais ne saurait se résumer à cela. Tout son ADN géopolitique depuis le début de la Ve République consiste à ne pas être enfermé dans cette identité. La France existe dans les affaires du monde lorsqu’elle agit pour le partage de l’influence et de la puissance au service de relations internationales équilibrées et pacifiques, quand bien même cette perspective peut l’amener à dire « Non », comme elle l’a montré plusieurs fois dans son histoire, à ses alliés occidentaux. Elle doit pouvoir s’affranchir d’une discipline occidentale et promouvoir et soutenir des initiatives avec des pays non-occidentaux, au premier rang desquels le Brésil.

Le Brésil, quant à lui, est un pays leader du « Sud global », également à vocation universaliste. Neuvième puissance économique mondiale, ce géant dispose de nombreux atouts (environnementaux, énergétiques, alimentaires, diplomatiques, etc.) pour contribuer à l’élaboration de solutions globales et durables aux crises qui fragilisent l’ordre international et menacent la stabilité et la paix mondiales.

Les deux pays ont un futur commun. Ils partagent une frontière à travers le territoire de la Guyane, ils sont attachés au multilatéralisme, au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et au règlement pacifique des différends. La France soutient l’intégration du Brésil au Conseil de sécurité des Nations unies en tant que membre permanent et reconnaît son rôle comme puissance globale. Chacun de ces deux pays peut œuvrer à renforcer le dialogue, les liens et les passerelles – plus nécessaires que jamais – entre « The West » et « The Rest », afin d’éviter que le clivage ne s’élargisse.

De nombreux sujets peuvent les mobiliser conjointement dans un premier temps. Paris et Brasilia pourraient ainsi travailler ensemble à une initiative d’envergure au sein des Nations unies visant à promouvoir un cessez-le-feu et une paix durable au Proche-Orient et en Ukraine, ainsi qu’une résolution politique des autres conflits en cours dans le monde. Ils pourraient porter d’autres initiatives communes dans cette enceinte en crise – contribuant à en renforcer la légitimité-, mais aussi au sein du G20 dont ils sont membres, sur de grands dossiers mondiaux qui les mobilisent (climat, environnement, système financier international, aide publique au développement, protection de l’Amazonie et des forêts tropicales, plan de santé mondiale, etc.).

Ces derniers mois, des signaux ont confirmé l’affirmation de convergences entre la France et le Brésil, notamment lors du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial de Paris (22-23 juin 2023) initié par Emmanuel Macron.

Il est temps d’aller plus loin. La France doit proposer au Brésil la mise en place d’un partenariat stratégique permettant de renforcer et d’enrichir leur relation et d’associer leurs efforts pour donner au monde une chance de résoudre pacifiquement et de manière solidaire et coopérative ses multiples crises systémiques.

 

Tribune publiée sur le site de l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques).