Poutine « ne peut rester au pouvoir » : la « gaffe » de Joe Biden qui « révèle sa conviction profonde »

Mon interview du 28 mars pour France 24 à retrouver ici>>>

La sortie de Joe Biden sur Vladimir Poutine qui ne peut rester au pouvoir a été suivie d’un rétropédalage de la Maison Blanche. S’agit-il d’une gaffe ou était-ce calculé 

Ces propos correspondent à la conviction profonde de Joe Biden qui, depuis son arrivée au pouvoir, veut placer les droits de l’Homme au cœur de sa présidence, avec un changement de ton notable vis-à-vis de la Russie par rapport à l’ère Trump, mais aussi face à d’autre autocraties, comme par exemple l’Arabie saoudite.

Pour autant, cette sortie n’en est pas moins une gaffe vis-à-vis de ses alliés et plus généralement du monde, car affirmer comme il l’a fait que Vladimir Poutine ne peut rester au pouvoir renvoie au fiasco de la politique de changement de régime en Irak et en Afghanistan. Les États-Unis, qui souhaitent unir les démocraties face à la Russie, ne peuvent fédérer autour de cette idée. C’est pourquoi la Maison Blanche a été contrainte de faire amende honorable.

Avant même les réactions européennes, il était évident que de tels propos étaient contreproductifs. Ce n’est pas la première fois que Joe Biden commet ce genre d’impairs lors de déclarations publiques, cela lui arrive régulièrement lorsqu’il s’éloigne de ses discours et c’était même un sujet majeur d’inquiétude pour ses équipes lors de la campagne présidentielle. Donc oui, cette phrase est une gaffe qui révèle sa conviction profonde.

En quoi les réactions de l’Allemagne et de la France traduisent-elles une différence d’approche avec les États-Unis face à la Russie 

Paris et Berlin sont certes favorable à un rapport de force avec la Russie, mais sont bien conscients qu’il est essentiel de maintenir le dialogue avec Vladimir Poutine dans l’optique d’une résolution du conflit. On peut considérer que ces pays ont une posture moins morale et plus pragmatique, alors que Joe Biden considère de son côté que la démocratie est le seul régime qui conduit un pays à la stabilité.

Bien sûr, l’Europe est bien plus proche des États-Unis que de régimes autoritaires comme la Russie ou la Chine, et il ne s’agit pas pour elle d’opter pour une posture d’équilibre, mais de maintenir une forme d’indépendance vis-à-vis de l’allié américain. En ce qui concerne le conflit en Ukraine, la position d’Emmanuel Macron est que traiter Vladimir Poutine de « boucher » ou bien appeler à son départ ne peut conduire qu’à durcir sa position et donc nuire aux efforts de résolution du conflit.
Dans cette guerre, la position américaine face à Moscou est-elle perçue par l’Europe comme un danger ou un atout ?
Avant même le début du conflit, les États-Unis avaient adopté une stratégie offensive vis-à-vis de la Russie, dévoilant les positions militaires russes et alertant sur l’imminence de l’invasion de l’Ukraine. Certes le constat était juste, mais force est de constater que cette stratégie de pression sur Moscou n’a pas empêché la guerre. Pour autant, les États-Unis n’en sont pas responsables ; ils n’ont pas tendu de piège à la Russie et Vladimir Poutine s’est lancé tout seul dans cette offensive.
Cette guerre influe donc positivement sur l’image des États-Unis. Elle lui confère le statut de héros, seul capable de protéger l’Europe et ressouder l’Otan (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) autour des Américains. Si le contexte contribue à un rapprochement entre les États-Unis et l’Europe, certains pays européens comme la France et l’Allemagne redoutent néanmoins que Joe Biden profite de ce contexte pour pousser son avantage et accentuer le clivage entre les démocraties et les régimes autoritaires. Car si Washington cherche à créer une coalition anti-Pékin pour asseoir son leadership, la France et l’Allemagne préfèrent empêcher la formation de deux blocs antagonistes menant à un contexte d’hostilité permanente dangereuse.

 

Propos recueillis par David Rich pour France 24.