[La Croix] Le créneau de l’Union européenne

Intervention de Pascal Boniface dans La Croix

Le discours sur l’état de l’Union (un exercice qui existe depuis 2010) prononcé le 15 septembre par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, attire sans doute moins l’attention que celui que prononce traditionnellement le président américain chaque mois de janvier. Les États-Unis sont un acteur stratégique global, l’Union européenne pas encore. Du moins affiche-t-elle l’ambition de le devenir.

Le créneau de l’Europe

Tout en évitant au maximum les références aux États-Unis et à la Chine, Ursula von der Leyen présente une Europe qui se distingue de ces deux géants par un comportement plus cohérent et responsable vis-à-vis du reste du monde. Une puissance qui s’assume, mais qui reconnaît avoir des obligations à l’égard des autres. C’est le créneau et le credo de l’Union européenne.

La présidente de la Commission a fait une référence originale à l’âme de l’Europe, qui la fera triompher de cette épreuve, notamment par l’implication de la jeunesse déterminée à rendre le monde meilleur. Les mauvais esprits pourraient voir une référence discrète aux pratiques chinoises et américaines moins tournées vers le bien commun.

L’Union européenne a avec succès vacciné sa population (700 millions de doses, 70 % de la population est vaccinée), mais elle a aussi rempli son devoir par rapport au reste du monde : 700 millions de doses ont été destinées à l’étranger. La présidente de la Commission insiste : « Nous sommes la seule région du monde à l’avoir fait. » Sur le plan économique, la croissance de la zone euro a surpassé celle des États-Unis et de la Chine au dernier trimestre.

Montrer le volontarisme européen.

Pour faire face aux critiques récurrentes d’une Europe entravée et impuissante, Ursula von der Leyen dépeint au contraire une Europe plus efficace que les autres puissances mondiales. Elle veut démontrer le volontarisme européen. Ses priorités sont de mieux préparer l’UE à prévenir les futures pandémies ; combler son retard dans les technologies numériques ; et préparer son indépendance pour ce qui est des semi-conducteurs.

Elle insiste pour investir à la fois dans la reprise à court terme et la prospérité à long terme, en tenant compte des erreurs que l’Union avait faites après la crise de 2008. À l’époque, il fallut huit ans pour retrouver le PIB d’avant crise ; cette fois, deux années auront suffi pour la crise déclenchée par la pandémie Covid-19.

L’autre grand défi global est le réchauffement climatique. Ursula von der Leyen sous-entend que si chacun partage le diagnostic et la nécessité d’agir vite, seule l’Europe tient des engagements concrets, notamment à l’égard du financement de l’action climatique, un besoin estimé à 100 milliards de dollars par an sur lesquels l’Europe apporte le quart.

C’est le trou béant laissé par d’autres qui met l’objectif mondial hors de portée. Une façon de rappeler à l’ordre Pékin et Washington.

Des nombreux défis

Sur les enjeux de défense, la présidente de la Commission dit travailler à une nouvelle déclaration conjointe Union européenne/Otan. Elle annonce un sommet de la défense européenne qui se tiendra au cours de la présidence française de l’Union, mais évite d’employer le terme d’autonomie stratégique européenne ou de souveraineté européenne.

La présidente a également envoyé des messages appuyés aux membres de l’Union qui ne respecteraient pas l’État de droit ou la lutte contre la corruption. Il faut tenir compte des perceptions différentes des 27 tout en donnant une impulsion commune, donner l’image d’une Europe qui réussit et pourrait parler d’égal à égal tant avec la Chine qu’avec les États-Unis. La direction est bonne, la route est encore longue.

 

 

(1) L’Iris organise les 24 et 25 septembre « Les géopolitiques de Nantes », deux jours de débats à Nantes sur les enjeux du monde contemporain. Agnès Rotivel, chef adjointe du service monde de La Croix, interviendra vendredi 24 à 15 h 30 dans la table ronde : « Turquie : que veut Erdogan ? » Renseignements ici