France Inter, France Culture et Le Monde m’ont mis sur une liste noire

Je suis universitaire et je travaille sur les questions géopolitiques. J’ai écrit près de 70 livres sur ces sujets, dont de nombreux sont régulièrement réédités et ont fait l’objet de nombreuses traductions à l’étranger. J’ai créé l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) à partir de rien. Il est aujourd’hui devenu, en 30 ans, l’un des principaux think tanks français sur les questions géopolitiques et bénéficie d’une reconnaissance internationale (21e dans la catégorie « Meilleur think tank en Europe de l’Ouest », sur 2 075 think tanks au classement McGann).

J’ai créé une école, IRIS Sup’, il y a près de 20 ans. Elle forme, en niveau Master 1 et 2, désormais près de 600 étudiants chaque année, la moitié en présentiel, l’autre moitié à distance.

Je suis très actif sur les réseaux sociaux, avec 114 000 abonnés sur Twitter. J’ai créé une chaîne YouTube, « Comprendre le monde » qui a 113 000 abonnés. Je suis fréquemment à l’étranger où, hors Covid-19, je passe une semaine par mois, pour répondre à différentes invitations pour participer à des colloques ou des séminaires ou prononcer des conférences. On me crédite de qualités pédagogiques qui permettent de rendre accessibles au grand public les thématiques géopolitiques.

Je suis régulièrement invité sur la RTBF et sur la Radio Suisse Romande (RTS). Mais si vous écoutez France Inter, ou France Culture, ou que vous lisez le journal Le Monde, vous ignorez que j’existe. Car je n’y apparais jamais. Cela n’a pas toujours été le cas. Dans les années 1990, alors que l’IRIS n’avait pourtant pas la même importance qu’aujourd’hui et que j’étais moi-même nettement moins expérimenté, j’apparaissais très fréquemment dans ces trois médias. Qu’est-ce qui peut donc justifier cette mise à l’index ?

Cela s’est à mon sens fait en deux temps. Après ma critique sur la position du Parti socialiste sur le conflit israélo-palestinien en 2001 et la publication de mon livre Est-il permis de critique Israël ? en 2003, il y a eu un premier et net refroidissement. Les invitations se sont singulièrement espacées. L’accusation d’antisémitisme, jamais prouvée et régulièrement évoquée, a rendu ma présence plus rare par l’effet du militantisme des uns, de l’ignorance des autres et de la peur d’être pris dans la tourmente pour beaucoup. Je ne connais absolument personne qui aurait subi une mise à l’écart médiatique pour avoir critiqué les Palestiniens et leurs leaders. Critiquer le gouvernement israélien fait de vous un paria dans de nombreux cercles sur la base d’une assimilation-confusion entre antisémitisme, antisionisme et critique du gouvernement israélien. Ceci n’existe pour aucun autre pays.

Le deuxième élément qui m’a fait mettre sur liste noire, c’est la publication de mon livre Les intellectuels faussaires en 2011 (après qu’il a été refusé par 14 éditeurs !), dans lequel je mettais en cause quelques vedettes médiatiques et leur rapport à la vérité et la désinformation. Aucune page de ce livre n’a été démentie. La réponse a été une féroce et insidieuse campagne contre moi.

Critiquer Israël m’a valu un carton jaune. Critiquer quelques figures tutélaires du monde médiatique a fait sortir directement le rouge.

Philippe Val, qui faisait partie de ceux que je critiquais, et qui n’arrête pas de plaider pour la liberté d’expression, mais apparemment uniquement pour ceux qui ne sont d’accord avec lui, m’avait fait interdire d’antenne à France Inter qu’il dirigeait à l’époque. Ce n’était pas sa propriété. France Inter est une chaîne du service public. Mais il a agi comme l’aurait fait un directeur d’une radio roumaine sous Ceaușescu. Laurence Bloch, qui en est proche et qui lui a succédé, a maintenu cette interdiction. Elle a déclaré au Parisien, le 5 juillet 2020 « Inter n’est pas une chaîne qui censure ». C’est faux. Je suis censuré, placé sur une liste noire depuis 2011. J’étais très régulièrement invité au Téléphone sonne, je n’y interviens plus jamais, tout comme les émissions du soir sur l’international, qui, quel que soit le livre que je publie, refusent d’en parler ou de m’inviter pour commenter l’actualité. Il en est de même pour la matinale où j’étais autrefois présent assez régulièrement.

Sur France Culture, Olivier Poivre d’Arvor s’est efforcé que je puisse continuer d’être invité. Il devait même me confier une série d’émissions sur Léo Ferré à l’occasion du centenaire de la naissance de ce dernier et dont la famille m’avait chargé d’organiser la commémoration. Le projet a été abandonné quand il a été remplacé. Dans l’émission Culture monde, quel que soit le sujet, je ne suis pas invité, y compris lorsqu’il y a une semaine entière sur la Géopolitique du Sport, concept que j’ai développé en France. Quant à l’émission matinale, Les enjeux internationaux, Xavier Martinet, lorsqu’il en était à la tête, m’invitait quelques fois. Mais il ne présente plus l’émission depuis deux ans et depuis, plus rien, quel que soit le sujet, même lorsqu’il y a une semaine consacrée aux conséquences géopolitiques du Covid-19 alors que j’ai écrit précisément un ouvrage sur le sujet.

Sandrine Treiner, la patronne de France Culture, a indiqué qu’elle savait faire passer le message lorsqu’elle voulait que quelqu’un ne soit pas invité[1]. Elle parlait d’Olivier Duhamel. Finkielkraut qui l’a soutenu publiquement (comme il l’avait fait pour Polanski) n’a pas été écarté. Mais apparemment il en va de même pour moi. Apparemment, prendre des positions critiques sur le gouvernement israélien ou sur des personnages médiatiques importants semble plus rédhibitoire que de soutenir des pédophiles.

Je peux comprendre de ne pas être invité systématiquement. Je pourrais au moins attendre d’être invité aussi souvent qu’à l’époque où j’étais géopolitologue débutant, venant de créer une structure fragile. Je ne comprends pas de n’être jamais invité. Car de deux choses l’une. Soit les animateurs de ces émissions ne me connaissent pas et il y a un problème de compétence, soit ils me connaissent et ne m’invitent pas, et il y a alors un problème de courage et de conscience professionnelle.

Il faut comprendre les animateurs : ils ont des contrats d’un an et ils savent que les auditeurs sont plus fidèles à l’antenne qu’eux-mêmes. Pourquoi prendre le risque de se fâcher avec la direction en m’invitant ? Craignant de perdre leur place et leur statut, ils cèdent à la peur. Mais est-il normal que sur le service public une telle liste noire existe ? Et sur des critères hautement contestables. Car s’il est objectivement évident et constatable que je ne suis jamais invité dans aucune émission sur ces chaînes, la raison n’est bien sûr jamais annoncée, car elle n’est pas avouable.

France Inter et France Culture rencontrent le succès. Il y a en effet d’excellentes émissions. Mais on y établit aussi, de façon peu digne et pour des motifs qui ne le sont guère plus, des listes noires.

Au moment où le débat fait rage sur la censure à l’université que ferait peser l’islamogauchisme, ne voit-on pas que le risque de la cancel-culture est tout autre ? Et qu’il suffit justement d’affabuler quelqu’un de l’étiquette d’islamo-gauchiste (pour défendre le droit des Palestiniens à disposer d’eux même, mes adversaires m’associent au Hamas ou au Hezbollah) pour justifier son éviction d’une antenne publique ? Où est la censure ? Qui proclame ces fatwas médiatiques ?

Au Monde, c’est à tel point qu’ils n’ont même pas voulu, ne fût-ce que sur leur site internet, évoquer mon agression à Tel-Aviv d’il y a trois ans. On peut dire que s’agissant d’un journal appartenant à des actionnaires privés, il est libre de ses choix. Mais encore faut-il les assumer et cesser de faire des grandes leçons sur le devoir d’informer et l’intégrité professionnelle pour cacher des choix personnels et militants.

Je ne fais pas une critique générale des médias. Ils sont indispensables à la démocratie. Mais on peut exercer à leur égard et dans certaines circonstances un regard critique lorsqu’ils ont des comportements suffisamment peu dignes pour qu’ils n’osent pas les assumer publiquement.

Les médias aiment bien critiquer. Ils doivent accepter de l’être sans vouloir excommunier ceux qui exercent leur droit de critique sur ceux qu’ils proclament comme vedettes intouchables. C’est un comportement qui ne peut que nourrir le complotisme qu’ils dénoncent par ailleurs.

 

[1] « Je faisais part publiquement de mes préventions devant mes équipes. Cela a créé une zone de vigilance », Le Monde, 15/01/2021