Invectives d’Erdogan, boycott des produits français : quelle diplomatie adopter ?

ANKARA, TURKEY - OCTOBER 27, 2020: Pro-government demonstrators hold a protest against French President Emmanuel Macron.- PHOTOGRAPH BY Altan Gocher / Barcroft Studios / Future Publishing (Photo credit should read Altan Gocher/Barcroft Media via Getty Images)

Après qu’Emmanuel Macron ait rappelé, dans son hommage à Samuel Paty, son soutien à la publication des caricatures de Mahomet par le journal Charlie Hebdo au nom de la liberté d’expression, le président turc Recep Tayyip Erdogan a questionné la santé mentale du président français le dimanche 25 octobre. Depuis, Paris a rappelé son ambassadeur à Ankara. La Turquie a ensuite, comme d’autres pays d’obédience musulmane, appelé au boycott des produits français. 

La Turquie et la France font partie de la même alliance, l’OTAN. Il est inhabituel que des pays membres d’une même alliance arrivent à un tel niveau de tension. Les motifs de discorde entre Paris et Ankara sont nombreux, allant de la Libye, à la Syrie, au Haut-Karabakh et en passant par la Méditerranée orientale. Mais Erdogan vient de franchir un seuil important, une étape grave, en s’inquiétant de la santé mentale du président Macron. Il n’est dès lors même plus question de langage diplomatique, mais de simple courtoisie. Le respect dû aux autres dirigeants interdit ce type de déclaration.

À travers une telle attitude, Erdogan cherche à apparaître comme le meilleur protecteur des musulmans, en Turquie et au-delà. Il a un projet dit « musulman ». Il a récemment retransformé la Sainte-Sophie en mosquée. Il essaye aujourd’hui de s’engouffrer dans une brèche afin de diaboliser Emmanuel Macron, quitte à déformer les propos de ce dernier pour le présenter comme un ennemi de l’Islam dont il serait, lui, le protecteur. On peut remarquer qu’il a été nettement moins violent dans ses attaques contre Xi Jinping à propos des Ouïgours.

En parallèle, une campagne de boycott des produits français dans certains pays musulmans, proches de la Turquie, s’est mise en place, dans le but de sanctionner la France en raison d’une politique qui est présentée comme étant fondamentalement hostile à l’Islam. Cette campagne reste pour le moment limitée, disposant d’un impact médiatique très fort, mais d’un impact économique ou politique relativement faible pour le moment.

La réaction d’Erdogan peut paraitre excessive et viendrait de fait le discréditer mais elle représente tout de même un risque : elle pourrait pousser certains, ne voulant pas laisser au président turc le costume dont il entend se draper, à surenchérir. Il s’agit du risque classique de surenchère face à ce type de réactions émotionnelles. Et dans une telles séquence, on le sait, les opinions publiques s’embrasent rapidement. Mais, dès lors, quelle attitude adopter face à Erdogan et au boycott ? L’intérêt d’Emmanuel Macron n’est pas de réagir sur le même plan que son homologue turc. Il ne joue pas le même rôle que ce dernier sur la scène internationale. Il lui faut sans aucun doute condamner fermement l’usage de telles insultes tout à fait inacceptables sans pour autant recourir au même type de procédé.

En ce qui concerne l’appel au boycott, il convient de redéfinir ce qu’est le discours français sur la laïcité. Les propos d’Emmanuel Macron par rapport à l’Islam ont été déformés, caricaturés. À cela s’est ajouté les propos de responsables – ou d’irresponsables – politiques français, qui sont venus brouiller les notions d’Islam, d’islamisme et de musulmans. Dans certains secteurs de l’opinion, nous avons assisté à une surenchère de propositions ayant pour objectif ou pour effet de stigmatiser de façon collective les musulmans. Il faut face à cela adopter un discours pédagogique sur la laïcité mais aussi lutter contre les discriminations à l’égard des musulmans. C’est jusqu’à aujourd’hui le cas du discours du président français sur la question, même si certains responsables politiques veulent l’entraîner sur un autre terrain.

Il est certain que les multiples débats et dérapages qui existent en France et que l’on peut qualifier de « laïcité falsifiée » ont un impact à l’étranger. La France avait une image extrêmement positive dans le monde arabe et musulman du fait de la politique de De Gaulle, de Mitterrand, puis de Chirac et de son refus de la guerre d’Irak. Une grande partie de ce capital s’est effrité, s’est évaporé. Les débats irrationnels, violents, parfois stigmatisants sur les musulmans, bien que n’étant pas la politique officielle de la France, ont un écho dans les pays musulmans, mais aussi dans le reste du monde. En août 2016, lorsque la France s’était enflammée sur la question du burkini, de nombreux ambassadeurs de France avaient témoigné, lors de la conférence des ambassadeurs, de l’émoi que ce débat quasi hystérique avait suscité à l’étranger. Le débat sur la question s’est crispé sur le plan national et transparait sur l’image de la France à l’international.

Il faut défendre et promouvoir la « vraie » laïcité, qui est la protection de chacun, la liberté de tous, et non la stigmatisation d’une religion. Elle est à distinguer de la « laïcité falsifiée » qui n’est qu’un prétexte pour certains, par conviction – parce qu’ils n’aiment pas les musulmans – par opportunisme – parce qu’ils pensent ainsi s’engouffrer dans une brèche – ou par peur de prendre un risque en allant dans le sens contraire.

 

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