La France face à la Chine, que faire ? (3/4) – La France et le duel sino-américain

Comment la France doit-elle organiser sa relation avec la Chine ? Comment faire face à la future première puissance mondiale, dotée d’un système politique bien différent et qui ne constitue ni un allié ni un rival ? Quelles sont les divergences et les convergences à prendre en compte ? En somme, comment la France peut-elle définir ses intérêts ?

L’une des – sinon la – problématiques stratégiques majeures de la – des ? –  prochaine décennie sera la façon dont s’orientera la relation sino-américaine. Comment la France doit-elle y faire face ? La montée en puissance de la Chine semble si irréversible que la question n’est pas de savoir si, mais quand la Chine deviendra la première puissance mondiale et détrônera les États-Unis. Dès lors, comment Washington va réagir à la perte du statut de première puissance mondiale ? Va-t-elle l’accepter avec flegme et réalisme comme le Royaume-Uni avait accepté d’être dépassé par les États-Unis ? Ou par une crispation et un refus menant au conflit, comme Londres face à Berlin au début du XXe siècle ou Sparte face à Athènes dans l’Antiquité ? Graham Allison a ainsi popularisé le thème de « piège de Thucydide »[1]. Dans la guerre du Péloponnèse, l’historien explique que le conflit était devenu inéluctable entre Sparte et Athènes dès lors que la première n’acceptait pas la montée en puissance de la seconde. Dans les 16 cas historiques étudiés par G. Allison où la suprématie de la puissance dominante est remise en cause par la seconde, 12 ont mené à la guerre.

Certes, la dissuasion nucléaire, le coût d’un affrontement, doivent aujourd’hui permettre d’écarter les worst case scenario. Mais l’imbrication des économies chinoise et états-unienne ne saurait être un motif suffisant pour dissiper toute menace de guerre. Au début du XXe siècle, l’Allemagne et l’Angleterre étaient chacune le premier partenaire commercial de l’autre. S’il est vrai que les économies sont aujourd’hui plus interdépendantes qu’elles ne l’étaient alors, l’histoire montre que les acteurs, y compris majeurs, n’agissent pas toujours de façon rationnelle et peuvent méconnaître leur propre intérêt par erreur d’analyse.

À travers ses slogans America First et Make America Great Again, Donald Trump refuse justement de toutes ses forces le futur dépassement des États-Unis par la Chine. Richard Nixon et Henry Kissinger avaient conclu de l’affaiblissement relatif américain, à leur prise de pouvoir, qu’il fallait se lancer dans une politique de détente avec l’Union soviétique. D. Trump, pour sa part, semble croire qu’il faut lancer la confrontation tant qu’il est encore temps. Et la perception de la Chine comme une menace tous azimuts – économique, commerciale, politique, culturelle, civilisationnelle – constitue l’un des rares motifs de consensus bipartisan aux États-Unis. D. Trump semble ainsi prêt à se lancer dans une guerre commerciale avec la Chine. Jusqu’où poussera-t-il cette dernière ? Jusqu’où ira-t-il, de façon plus large, dans sa confrontation avec Pékin ? Comment la France doit-elle réagir ?

En matière commerciale, les pays européens ont également des reproches à faire à la Chine, peu éloignés de ceux émis par Washington sur le non-respect de la propriété intellectuelle, sur les causes des déséquilibres commerciaux, etc. Un front commun occidental, à même de façonner un rapport de forces plus favorable, aurait pu être envisagé, mais D. Trump l’a refusé, répondant au président français, qui lui en rappelait l’utilité, qu’il s’attaquait d’abord à la Chine et qu’il s’occuperait ensuite de l’Union européenne (UE). Il est vrai que le président états-unien a présenté l’UE comme un « ennemi » à de nombreuses reprises, au motif de son excédent commercial à l’égard des États-Unis (170 milliards de dollars en 2018). Cela mène à une situation paradoxale où le pays leader d’une alliance militaire présente les autres membres – ici européens – comme des ennemis. Et où ces derniers ne semblent pas tous avoir compris l’ampleur du défi et donnent le sentiment de continuer « business as usual ».

Les Européens sont, en réalité, déboussolés face à une telle attitude[2]. Ils n’ont pas tous la même relation de dépendance face au protecteur d’outre-Atlantique. Ils sont habitués à cette protection et au lien de dépendance créé, de telle sorte que la plupart d’entre eux craignent l’autonomie stratégique, jugée dangereuse, faite d’inconnues et par ailleurs hors de portée. D’un autre côté, Pékin les courtise économiquement, à travers des promesses d’investissement et de l’attractivité d’un marché où la classe moyenne se fait chaque jour plus importante.

Certes, de nombreuses voix peuvent s’élever pour plaider la solidarité civilisationnelle avec la démocratie états-unienne et mettre en garde contre la crispation autoritaire de Xi Jinping. On ne peut nier les pressions sur Hong-Kong, l’internement des Ouïghours, la situation au Tibet, la censure, la surveillance des citoyens, la répression des dissidents, etc. Mais quand, en 1964, le général de Gaulle établissait – au grand dam de Washington – les relations diplomatiques avec la Chine de Mao Zedong, celle-ci était bien plus répressive, et bien moins attrayante économiquement qu’elle ne l’est actuellement. Le président de la République estimait cependant que le réalisme et l’intérêt national de la France rendaient logique un tel geste.

 


[1]  Graham Allison, Destined for War. Can America and China Escape Thucydide’s Trap?, Boston, Houghton Mifflin Harcourt, 2017, publié en francais chez Odile Jacob, 2019.

[2] Voir Pascal Boniface, Requiem pour le monde occidental. Relever le défi Trump, Paris, Eyrolles, 2019.

 

J’ai publié, en janvier 2019, Requiem pour le monde occidental aux éditions Eyrolles.

 

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