Hommage à Jean-Christophe Victor

Jean-Christophe Victor est né en 1947 et il aurait pu être écrasé par le poids de son ascendance. Pas facile d’être à la fois le fils de l’explorateur mondialement connu Paul-Émile Victor, et d’Éliane Victor, l’une des premières femmes productrices de la télévision à une époque où le statut des femmes dans la société française était plus que mineur. Elle a lancé plusieurs émissions dont « Les femmes aussi » qui, dès les années 60, promouvait la place des femmes dans une société française qui leur refusait l’accès à la contraception, à l’avortement, au simple droit de signer des chèques et où le divorce par consentement mutuel n’existait pas. Paul-Émile, le père, a ouvert, après la guerre, les terres polaires arctique et antarctique à la France, en y faisant installer des bases scientifiques permanentes, et en fondant l’Institut Polaire Français, qui porte aujourd’hui son nom.

Jean-Christophe Victor est parvenu à se distinguer d’eux en leur demeurant fidèle par une philosophie commune : les médias sont utiles à condition d’avoir des choses intéressantes à dire et si possible à apporter, en se mettant au service du plus grand nombre, et en se méfiant de tout ce qui ressemble à de la notoriété. Il avoue que lorsqu’il était jeune, ses interlocuteurs changeaient d’attitude lorsqu’ils apprenaient qui était son père. Il en a gardé une aversion profonde pour tout comportement vaniteux, une distance vis-à-vis de ce qui relève de l’ostentation, privilégiant une attitude réservée, voire discrète. Selon lui, son père aurait légué à ses enfants quatre ou cinq principes fondamentaux. « Demeurer libre, notamment vis-à-vis des pouvoirs qu’ils soient politiques ou financiers, ouvrir de nouveaux chemins et inventer, respecter l’autre en s’intéressant à tout ce qui peut être différent ».

Mauvais élève, il rate son bac. Son père l’embarque alors pour l’Antarctique où il restera cinq mois – la saison d’été – comme manœuvre bénévole à la base française de Dumont–d’Urville. C’est au cours de ce séjour qu’il dit avoir réellement fait connaissance avec ce père si absent et si présent à la fois !

Après le voyage en Antarctique, le mauvais élève devient bon étudiant. Il passe trois ans aux Langues Orientales, décroche un diplôme de chinois, puis part à Taiwan à l’université Da Shui. Il s’inscrit ensuite en ethnologie, entame un doctorat sur les réfugiés tibétains du Nord Népal et part un an s’installer dans un village himalayen de 1200 habitants à douze heures de marche de la frontière tibéto-chinoise. Espérant être nommé en Chine, il devient contractuel du Quai d’Orsay à 26 ans mais il est envoyé à Kaboul. Il apprend le persan, parcourt le pays, y découvre l’islam, la diversité ethnique, la difficulté de vivre en zones arides, et à son retour en 1980, il est contacté par le Centre d’Analyse et de Prévision du ministère des Affaires étrangères. Le CAP est alors au faîte de sa gloire et de son efficacité, c’est la boîte à idées du ministère. Du fait de l’invasion par l’Union soviétique, l’Afghanistan devient un pays central sur le plan stratégique. Pour le CAP, Jean-Christophe Victor y retourne donc fréquemment, contribue à la création de l’association Action internationale contre la faim, participe à des missions au Pakistan pour l’aide aux réfugiés afghans.

Puis le CAP lui demande de se pencher sur le Pacifique où une fois encore le hasard de l’histoire le rattrape. La persistance des essais nucléaires français dans la zone, la révolte kanak et la violence déclenchée par la France lors de la prise d’otages dans la grotte d’Ouvéa le conduisent à faire de nombreuses missions dans la zone, auprès des États-Îles du Pacifique, Fidji, Vanuatu, en Nouvelle Calédonie, en Nouvelle Zélande, en Australie.

Au tournant de la fin de la guerre froide, il crée avec quelques amis un bureau d’étude privé, le Laboratoire d’études prospectives et d’analyses cartographiques, spécialisé dans l’analyse des relations internationales, l’enseignement de la géopolitique pour étudiants ou dirigeants d’entreprises. Il va bientôt imaginer, en s’appuyant sur les recherches du LÉPAC, un magazine de géopolitique qu’il nomme Le Dessous des cartes. Référence en matière de géographie appliquée, le succès est immédiat, durable, et l’émission devient emblématique de la chaîne Arte. Il publiera dans la foulée de ses émissions des Atlas du Dessous des cartes[1], qui sont des best-sellers.

Outre ce projet télévisuel, le LEPAC a une action de formation à l’international auprès d’entreprises, de collectivités locales et de l’Union européenne. Jean-Christophe Victor multiplie les conférences dans les universités et les instituts culturels à l’étranger. Lorsqu’il intervient, il s’efforce de présenter les faits, les logiques adverses, les thèses en présence et les différentes interprétations que l’on peut en faire. Il se méfie de la « fabrication des ennemis », qu’il s’agisse de la Chine, de l’islam, des migrants, ne croit pas que le monde occidental continuera à dominer le monde et estime que ce dernier a trop souvent une attitude arrogante « qui est non seulement stupide, mais désormais tout à fait obsolète ».

Jean-Christophe Victor prépare avec le Département du Jura dont son père était originaire, la région Franche-Comté et l’Union Européenne, l’ouverture pour 2014 d’un Espace des mondes polaires[2]. Ce sera en France le premier centre d’interprétation des mondes glacés consacré aux nombreux enseignements qu’ils dispensent.

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[1] Avec Virginie Raisson, Frank Tétart et Robert Chaouad.

[2] Avec Stéphane Niveau et la communauté de communes des Rousses, maître d’ouvrage.