La face cachée des bleus – 3 questions à Dominique Sévérac

Grand reporter au Parisien, Dominique Sévérac couvre depuis près de vingt ans l’équipe de France de football. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de « La face cachée des Bleus : dans les coulisses de l’équipe de France », aux Éditions Mazarine, livre extrêmement bien documenté, ni « foot bashing », ni hagiographique. Bref, un vrai livre de journalisme.

En quoi l’image des bleus est-elle plus contrastée et différenciée que la plupart des livres sur le football en donnent (celle d’un « bloc » composé soit de demi-dieux, soit d’ignorants) ? 

Pour vendre, il faut souvent simplifier. C’est en général le défaut de ces livres qui aiment les raccourcis, ou du journalisme qui ne s’embarrasse pas de complexité ou de nuances.  Les footballeurs ne constituent pas un ensemble homogène mais seul l’écho des « brebis galeuses » parvient au grand public ou à la ménagère de moins de 50 ans. Karim Benzema ou Serge Aurier voient leur notoriété dépasser le cercle des amateurs de football parce qu’ils ont été mêlés à des affaires ou des dérapages qui font grand bruit, sans que l’on connaisse précisément leur degré d’implication ou si l’importance de cette sortie de route ait été bien mesurée. Les autres footballeurs ne leur disent pas merci: ils incarnent pour le reste de la corporation les footeux. Et comme les politiques se jettent sur eux pour donner leur avis, le plus sévère possible en général afin de s’acheter un peu d’autorité à moindre frais et pour être sûr qu’il sera repris par les autres médias, la caricature est double.

Pourtant, des Bleus votent, lisent, s’intéressent à l’actualité ou aux associations qui les sollicitent pour les parrainer. Ils ne sont pas tous hors-sol, mais ancrés dans la vie grâce à une famille qui les maintient dans le quotidien. Mais ceux-là n’intéressent pas parce qu’ils ne racontent aucune histoire et ont l’outrecuidance de ne pas correspondre aux stéréotypes que les observateurs calquent sur eux. Il faut la durée d’un livre, d’une enquête au long cours sur plusieurs années, pour comprendre la sociologie des Tricolores. C’est ce que j’ai essayé de faire dans cet ouvrage. Résumer leur image en deux minutes à la télé ou dans un article, même fouillé, n’aurait pas suffi. J’expose des faits sur leur vie en dehors des terrains sans les juger. On découvre des Bleus agaçants ou attachants mais c’est au lecteur de se forger son propre jugement.

Vous mettez en avant un attachement au fait de jouer pour la sélection nationale, loin des clichés de joueurs qui n’y accorderaient aucune importance. Pouvez-vous développer ?

Sans connaître la hiérarchie personnelle que chaque joueur se façonne, porter le maillot national est une grande fierté. C’est un « accomplissement ».  Ils savent que le prix d’un transfert dépend de l’offre et de la demande, qu’il n’indique pas grand-chose, surtout qu’à talent égal, un attaquant vaudra toujours plus qu’un milieu défensif. Etre convoqué en équipe de France s’impose comme la vraie reconnaissance : celle du milieu par le milieu. Les journalistes peuvent militer pour qu’untel ou untel soit sélectionné, rien ne remplace l’appel d’un entraîneur spécialiste, surtout s’il s’agit de Didier Deschamps, coach reconnu dans la profession, véritable héros pour les footballeurs d’aujourd’hui dont certains étaient devant leur télévision le 12 juillet 1998. Dans un football « NBAiser », où les statistiques supplantent la valeur technique et émotionnelle du footballeur, intégrer les Bleus est la reconnaissance suprême. Une carrière ne serait pas complète sans cela. Satisfaction égoïste? Je dirais plutôt, ambition. *

Chaque footballeur joue également pour le regard des siens. Souvent issu de milieux défavorisés, souvent de la diversité, souvent de parents étrangers, n’ayant pas obtenu la nationalité française ou ne parlant pas la langue de Molière, le néo-Bleu accueille sa sélection comme l’affirmation ultime de son intégration dans la société française. L’argent est une revanche sur l’enfance. La sélection, elle, une promotion nationale, une récompense de tous les efforts d’intégration entrepris par la famille. Les Bleus ont des défauts, des tics, parfois une vision matérialiste de la vie mais « servir » les couleurs du pays reste leur objectif premier. Une émotion juvénile avant d’être un booster de carrière.

Vous prédisez un destin national à Didier Deschamps. Sera-t-il le premier à faire le triplé : joueur, sélectionneur puis président d’une Fédération nationale ? 

C’est surtout son président actuel, Noël Le Graët, qui lui voit ce destin hors-normes. Pas sûr que Deschamps lui-même ait vraiment envie d’endosser les habits du président de la Fédération française de football (FFF) ou même ceux de dirigeant à la FFF ou dans un club. Il y a beaucoup de coups à prendre et la campagne de déstabilisation sans fondement dont il a été victime durant cette préparation pré-Euro devrait freiner ses ardeurs, si elles ont réellement existé. Didier Deschamps est un héros national parce qu’il était le capitaine en 1998, le premier champion du monde français à soulever le trophée. Il le restera pour l’Histoire. Il est un héros, pas encore une légende, comme Zidane, Noah, Hinault, Platini ou Prost. Remporter l’Euro, après les affaires de la saison (la sextape, le contrôle positif de Sakho, finalement innocenté) et la cascade de forfaits (Varane, Diarra), le ferait sans doute basculer du côté des légendes du sport français. Et l’encouragerait, alors qu’il lui reste deux ans de contrat, à tenter d’aller chercher le sacre suprême pour le Mondial en Russie en 2018.

Mais Deschamps n’en aurait pas encore fini avec sa carrière d’entraîneur. Quels que soient ses succès ou ses échecs avec les Bleus, il voudra à terme reprendre les destinées d’une équipe de club et décrocher une Ligue des champions dans un des dix clubs susceptibles de la gagner au début de chaque saison. Pourquoi pas au PSG, bien qu’il soit « marqué » à Marseille, club où il a joué et entraîné ? Sa carrière de dirigeant ou de président de la FFF n’est pas une priorité.