La Corée du Nord est le dernier régime réellement totalitaire existant sur la planète. Elle se distingue des autres régimes dictatoriaux ou autoritaires par la négation totale de toute liberté publique ou privée.
Ce régime communiste héréditaire ne compense même pas cela par la satisfaction des besoins matériels de la population qui vit dans un dénuement quasi total et qui souffre même de carences alimentaires. Seules les forces de sécurité ont un relatif confort, sans parler bien sûr de l’élite dirigeante qui n’est privée de rien.
Il n’y a pas de société civile en Corée du Nord ni d’informations qui viennent du monde extérieur. Mais ce pays dispose de l’arme nucléaire et d’une puissance militaire indéniable. Elle ne serait certes pas en mesure de gagner une guerre contre les États-Unis ou même contre la seule Corée du Sud mais pourrait, avant une défaite, infliger des dommages irréparables à la Corée du Sud et au Japon. C’est pour cela que, bien qu’ayant placé la Corée du Nord dans l’axe du mal dans le fameux discours de George W. Bush de 2002, les États-Unis n’ont jamais rien entrepris militairement contre Pyongyang.
On peut n’avoir aucune sympathie pour ce régime détestable (mais pas irrationnel car il faut une certaine rationalité pour se maintenir au pouvoir pendant trois générations et près de 70 ans en ayant échoué à ce point à développer le pays) mais il ne faut pas espérer amener la démocratie par une intervention militaire. Cela a échoué partout et les dégâts d’une telle tentative seraient encore pires que ce que l’on a vu en Irak.
Le problème est que le régime semble avoir compris que toute tentative d’ouverture pourrait entraîner sa fin. Il la refuse donc, quitte à empêcher tout développement du pays. Ceci n’affecte pas le train de vie de ses dirigeants et leur paraît être le meilleur moyen d’assurer leur pérennité au pouvoir.
Doit-on de ce fait, comme semblent le faire avec des arrière-pensées différentes les puissances extérieures, gérer un statu quo inconfortable mais qui évite le pire ?
La « Human Rights Foundation » et « Forum 280 », deux organisations non gouvernementales américaines, semblent avoir trouvé une idée originale pour faire bouger les choses de manière non violente.
Leur projet « Flash Drives for Freedom » a pour but d’aider un groupe de réfugiés nord-coréens qui a fui en Corée du Sud de faire rentrer par le biais de leurs proches des clés USB et des DVD contenant une sélection de livres, films , soap operas et interviews politiques.
L’idée de montrer par le biais de séries américaines et sud coréennes ou de produits de divertissement le niveau de vie existant en dehors de la Corée du Nord – ce dont la population est complètement ignorante – paraît plus efficace pour toucher la population que des discours politiques.
Bien sûr, le projet a ses limites du fait du nombre faible d’équipements de la population en lecteurs DVD ou ordinateurs.
Mais, d’ores et déjà, le régime craint la diffusion de feuilletons sud-coréens qui montrent l’aisance et le confort dans lesquels vivent leurs cousins dont ils sont séparés depuis 1945. Il arrive déjà que la police nord-coréenne coupe l’électricité de tout un immeuble avant de s’introduire dans les appartements pour vérifier, une fois le courant rétabli, quels sont les DVD visionnés par les heureux propriétaires de ces matériels.
On se rappelle que le fait de pouvoir regarder la télévision ouest-allemande, lorsque Willy Brandt et Egon Bahr ont lancé l’Ostpolitik, a été pour beaucoup dans la délégitimation du régime est-allemand. On disait à l’époque tous les jours que l’Allemagne était réunifiée lors de la diffusion du journal télévisé ouest-allemand du soir. Ce dernier montrait à une population est-allemande jusqu’ici sevrée d’informations que l’enfer capitaliste semblait plus confortable que le paradis socialiste.
Bien sûr, ces DVD et clés USB ne feront pas tomber immédiatement le régime nord-coréen mais il ouvre un de ces espaces et montre que la résistance non-violente, si elle est incapable d’arrêter un envahisseur, est le meilleur moyen de s’en prendre à un régime répressif. C’était déjà la leçon de « Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, petit et sans armes » de Srdja Popovic et peut-être conduira à un chapitre de plus pour la réédition du livre de Dominique Moïsi « Géopolitique des séries ».