Ursula von der Leyen : requiem pour une Commission géopolitique

Lorsqu’elle a pris ses fonctions de présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen avait annoncé qu’elle présiderait une commission « géopolitique ». L’espoir était monté en flèche pour tous ceux qui aspirent à une Europe « puissance ». La présence de Josep Borrell, partisan de longue date d’une relative autonomie européenne, ou encore celles de Charles Michel ou de Thierry Breton au sein des instances européennes, nourrissait cet espoir.

Le caractère répulsif de la politique de Donald Trump et les inquiétudes suscitées par ses discours hostiles à l’OTAN avaient renforcé, sur l’ensemble du continent, le désir de réfléchir à un plan B en cas de lynchage américain. L’arrivée de Biden au pouvoir aux États-Unis, représentant d’un atlantisme classique, avait contribué à rendre moins urgente cette réflexion. Les Européens pensaient qu’on allait revenir à une politique transatlantique plus traditionnelle. La débâcle de Kaboul allait de nouveau poser la question de la crédibilité stratégique des États Unis et donc relancer les débats sur l’autonomie stratégique européenne. La guerre en Ukraine l’a fait apparaitre dangereuse, car synonyme d’un éloignement avec les États-Unis, seul pays identifié comme capable de protéger les pays européens de la menace russe. Tout ceci n’est pas totalement logique dans la mesure où tout d’abord l’armée russe, dans cette guerre, a davantage montré ses lacunes que sa puissance et que, ensuite, l’autonomie ne s’oppose pas à l’alliance, mais à la dépendance.

Néanmoins, la peur est si forte qu’elle suscite des réactions bien plus émotionnelles que rationnelles. Ursula Von der Leyen a pris un leadership en Europe pour faire face à la guerre afin d’organiser l’aide européenne, y compris militaire, à l’Ukraine, outrepassant très nettement ses compétences. Elle a œuvré pour que l’Ukraine obtienne très rapidement le statut de pays candidat à l’Union européenne sans pour autant tenir compte des réalités économiques ou de gestion. Elle a également engagé un rapprochement très net entre l’Union européenne et l’OTAN. Or, il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que, dans ces cas-là, c’est plutôt l’Union européenne qui fait un pas vers les positions de l’OTAN que l’inverse.

La présidente de la Commission s’est rendue le 10 mars aux États-Unis pour une rencontre avec Joe Biden. Elle espérait obtenir des aménagements concernant l’Inflation Reduction Act, immense projet de 369 milliards de dollars d’investissements, dont de nombreux Européens craignent qu’il ne se traduise par un mouvement massif de délocalisation des industries européennes aux États-Unis. Elle n’a rien obtenu de la part du président américain sans que cela ne suscite une réaction de sa part. Elle a en revanche donné des gages à Joe Biden, dont l’objectif majeur est de rallier les Européens au sein d’une vaste coalition anti-chinoise. La guerre en Ukraine donne des arguments supplémentaires au président américain pour créer une « alliance des démocraties » contre l’axe Moscou-Pékin, mais ces objectifs existaient dès son entrée en fonctions. Les Européens doivent-ils participer à cette coalition anti-chinoise au nom d’un front commun des démocraties contre les régimes autoritaires ? Certains en doutent, mais d’autres sont prêts à déférer aux demandes de Washington, quelles qu’elles soient, en échange d’une protection militaire. Si la différence de régime entre Pékin et Washington est évidente, il n’est pas nécessairement dans l’intérêt des pays européens de participer à une prophétie autoréalisatrice, qui par ailleurs alimente le discours de ceux qui à Moscou ou Pékin dénoncent un Occident qui voudrait imposer sa loi. Le risque d’une escalade qui pourrait devenir incontrôlable est bel et bien là.

Il n’est pas certain que nous serions suivis par les pays du Sud. Cela pourrait entraîner un approfondissement de la coupure the West versus the Rest dans laquelle il est loin d’être certain que l’Ouest sorte gagnant. Si l’ambition d’Ursula Von der Leyen est effectivement de devenir secrétaire générale de l’OTAN, on peut comprendre qu’elle accepte sans tergiverser tous les arguments de Joe Biden. Mais on peut aussi penser que ses intérêts personnels peuvent aller à l’encontre des intérêts de l’Europe. Et c’est assez préoccupant.

 

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