Un nouveau monde bipolaire ?

La nouvelle politique de fermeté, et même offensive, des États-Unis sur le plan diplomatique a pour objectif de rassurer les alliés et d’impressionner ses rivaux. Il s’agit de marquer une claire rupture avec les années Trump.

« America is back » : c’est la formulation que Joe Biden utilise très régulièrement, et il faut reconnaître que oui, l’Amérique est de retour. D’abord sur le plan de la lutte contre la pandémie du Covid-19. Les États-Unis sont le pays qui a le plus souffert en nombre de morts, du fait, notamment, de la gestion catastrophique du président Donald Trump. Le nouveau plan de vaccination force le respect : le nombre de 100 millions d’Américains vaccinés contre le Covid-19 sera bientôt atteint, et pour Biden, le 4 juillet pourra normalement être fêté dans des conditions normales cette année puisque la pandémie sera vaincue à cette date. Puis, sur le plan de la relance économique : 1 900 milliards de $, équivalent du PIB de l’Italie, sont mis sur la table pour relancer l’économie américaine. L’Amérique est bien de retour sur le plan interne, mais également sur le plan international. De retour dans l’OMS, le système multilatéral, l’Accord de Paris : la déconstruction à laquelle Donald Trump s’était exercé depuis quatre ans a pris fin, et les États-Unis s’imposent de nouveau au sein du système international, y compris par rapport aux alliés dans l’OTAN et en Asie.

Coup sur coup, deux déclarations-chocs ont fait la une de l’actualité : Joe Biden qui qualifie Poutine de « tueur », et Antony Blinken, secrétaire d’État des États-Unis, qui qualifie de « génocide » les actes des Chinois envers les Ouïghours. Comment interpréter un tel durcissement ? Plus qu’un retour, c’est l’Empire qui contre-attaque. La première raison est que Joe Biden, qualifié de « Sleepy Joe » par Donald Trump, souhaite montrer qu’il peut faire aussi bien que son prédécesseur, voire mieux sur le plan de la réponse virile, ce dernier ayant laissé filer Poutine et Xi Jinping. Il désire apparaître comme l’homme fort et par conséquent faire passer Trump comme ayant été faible au cours de son mandat, afin de le priver de son argument favori. Joe Biden aspire à défaire ce que Trump avait construit, de la même façon que Trump avait voulu défaire ce que Obama avait entrepris.

Joe Biden et l’ensemble de son administration sont sincèrement attachés aux droits de l’Homme et souhaitent les placer au cœur de leur politique. On assiste à un retour de la politique offensive des États-Unis. Le président est cohérent, puisqu’il inclut dans cette stratégie, ses rivaux stratégiques ainsi que ses alliés. Il ne laisse pas passer les manquements aux droits de l’Homme de l’Arabie saoudite. Israël fait exception, puisqu’il s’est notamment positionné contre la saisine de la Cour pénale internationale. Mais de manière générale, les manquements aux droits de l’Homme seront moins passés sous silence que lorsque Trump était au pouvoir.

Au cœur de l’accusation contre Poutine se trouve un aspect personnel : en effet, les Russes avaient mis en avant les liens de Hunter Biden, le « dernier » fils de Joe Biden, avec les Ukrainiens. Ils avaient révélé un salaire de 50 000$ mensuels lié à des affaires ukrainiennes, et avaient par la même occasion directement mis en cause Joe Biden lors de l’élection présidentielle. Aujourd’hui, Joe Biden renvoie la monnaie de sa pièce à Vladimir Poutine.

Le nouveau président des États-Unis souhaite par ailleurs réaffirmer les liens avec ses alliés et resserrer les rangs. Les pays européens étaient très inquiets de la politique de Trump, qui accusait l’Union européenne d’être l’ennemi des États-Unis, et qualifiait l’OTAN d’obsolète. Joe Biden assure que l’Amérique est de retour en insistant sur la menace russe afin que l’Europe lui fasse de nouveau confiance. De même, en désignant la Chine comme une menace, les États-Unis cherchent à rassurer le Japon, l’Australie et l’Inde, et former une coalition antichinoise. La Corée du Sud est quant à elle moins sensible à ce discours puisqu’elle partage des liens économiques très forts avec la puissance chinoise.

À travers cette volonté de croisade pour les droits de l’Homme se démarque une lutte pour la suprématie mondiale. Les États-Unis assistent, atterrés et anxieux, à la montée en puissance de la Chine, qu’ils n’acceptent pas. Les droits de l’Homme deviennent alors un instrument parmi tant d’autres dans un projet de rivalité nationale.

Mais après avoir traité Poutine de « tueur », quelle position adopter ? Est-ce que l’on traite avec un tueur ? On peut évidemment poursuivre les négociations sur le désarmement nucléaire, mais la question demeure importante. Poutine a répondu à cette attaque qu’il était possible de tout mettre sur la table et qu’il acceptait d’en débattre avec son homologue, mais il pourrait aussi dire que George Bush a davantage de sang sur les mains avec la guerre d’Irak. Un retour à des relations normales semble complexe, il est difficile de passer à autre chose après de telles accusations. Ni Nixon ni Kissinger, qui traitaient avec Brejnev, n’ont utilisé ce type de terme. Cette volonté offensive de Biden rappelle un certain climat de guerre froide.

Le même type d’accusations a lieu du côté des Chinois avec le terme de « génocide », un mot lourd de sens. En effet, on ne traite tout simplement pas avec un génocidaire, on ne traite pas avec Hitler ou Pol Pot. Il est compliqué d’accuser le pouvoir chinois de génocide tout en discutant d’accords commerciaux avec la Chine. Au cœur de cette guerre idéologique, il est nécessaire de bien mesurer le poids des mots et de ne pas revenir à un climat de guerre froide sans pour autant en tirer des conclusions concrètes et pratiques.

Allons-nous être embarqués, nous Européens, dans cette lutte antichinoise ? Nous avons notre propre agenda avec la Chine sur le plan économique, commercial, des droits de l’Homme. Et cet agenda ne colle pas toujours à l’agenda américain. Pour nous, la Chine n’est pas une menace militaire comme elle l’est pour le Japon ou les États-Unis. Cette volonté de Washington de nous entraîner dans son propre agenda ne doit pas devenir un piège. Si nous devons être des alliés, il faudrait que les États-Unis agissent sérieusement sur la question de l’extra-territorialité notamment. Ces injonctions de ne pas commercer avec tel ou tel pays sous peine d’amende ou de non-accès au marché américain font partie d’un autre âge, un âge impérial dans lequel nous ne sommes pas des alliés, mais plutôt des subordonnés. On peut se féliciter du retour des États-Unis sur certains points, mais nous n’avons pas besoin d’un leadership de ce type, davantage d’un véritable partenaire.

On assiste à une reconstitution d’une alliance de fait entre Moscou et Pékin même si le rapport de force entre les deux est inversé par rapport à la guerre froide.

Est-ce une erreur de Joe Biden de continuer à pousser les Russes dans les bras des Chinois ? Et de se démarquer et de mettre fin à la politique de Kissinger et Nixon ? Il semble que c’est volontairement que la diplomatie américaine agit en ce sens afin de mettre en place une alliance des démocraties contre les régimes autoritaires.

Un nouveau clivage se met en place Russes et Chinois d’un côté, Occidentaux de l’autre, ayant renoncé à séduire les opinions de l’autre bord. Chacun parle à sa propre opinion publique.

Reste à savoir comment réagiront les nations émergentes. Dans ce nouveau climat qui pour certains rappelle la guerre froide, le rapport de force en faveur des Occidentaux n’est plus le même. La Chine est désormais le principal partenaire commercial de 64 pays pour seulement 38 pour les États-Unis.

 

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