[Ouest France] Vaccin contre le Covid-19 : « La Russie remporte la bataille » sur le plan géopolitique

L’arrivée des vaccins contre le Covid-19 attise les rivalités entre les puissances mondiales. Malgré un appel au multilatéralisme lancé par l’OMS pour une distribution « juste » du vaccin dans le monde, les États font primer leurs intérêts propres. De quoi donner des idées à certaines puissances qui en profitent pour développer leur diplomatie.

La gestion de cette crise sanitaire mondiale aurait dû se faire de façon multilatérale. Il en est autrement. Comment expliquer cela ?

L’OMS, avec son protocole Covax, a incité les pays à mettre à disposition les vaccins de façon multilatérale. Mais, face à la crise et aux pressions des opinions publiques, certains préfèrent agir de façon nationale et livrent les vaccins à leur population en premier.

L’État prédomine durant cette crise sanitaire, car c’est aussi lui qui peut organiser le mieux sa propre distribution de vaccins. Il fait face à une pression très forte des opinions publiques qui, d’ailleurs, est comparable quelle que soit la nature du système politique. Les espoirs d’une coopération multilatérale où on aurait soigné les personnels soignants ou les personnes les plus à risque en premier partout dans le monde n’existent plus vraiment. Il y avait un discours sur le vaccin perçu comme un « bien commun ». Mais les Occidentaux ont acheté 90 % des doses des deux vaccins américains. Cela laissera des traces et de la rancœur dans les pays du Sud.

Les États jouent donc le jeu du chacun pour soi ?

Dans tous les pays, il y a cette demande de servir la population locale en premier. Pour les chefs d’État, le fait de sortir le plus rapidement ou le mieux possible de cette crise sera un marqueur de popularité. Donc l’État prime, indéniablement. Malgré tout, chacun garde en tête une diplomatie vaccinale pour, à la fois des questions de prestige, mais aussi des questions financières.

La Chine et l’Inde semblent profiter de la situation…

Les deux pays se concurrencent dans leur région pour avoir une diplomatie du vaccin. La Chine a des capacités de production importantes et elle veut être présente auprès des pays en développement pour asseoir son influence. On voit qu’un pays qui n’est pas très riche, c’est le moins que l’on puisse dire, comme Cuba s’en sort très bien et a produit quelque chose qui semble marcher. L’Israël se distingue aussi par son efficacité à vacciner depuis le lancement de sa campagne.

Mais la victoire la plus spectaculaire est celle de la Russie. Elle remporte la bataille géopolitique jusqu’ici. Il y a eu beaucoup de commentaires moqueurs lorsque Poutine a présenté son vaccin. Son nom, Spoutnik, a donné l’impression d’un retour à l’Union soviétique et d’une grandiloquence stratégique aux yeux du monde. Mais ce vaccin fonctionne.

Aujourd’hui, il y a un pays où il n’y a plus de confinement et où ils exportent le vaccin : c’est la Russie. On peut aller au restaurant, en discothèque, dans les bars, les gens ne sont pas confinés. Et ce vaccin, Spoutnik V, va être exporté bien au-delà de la zone traditionnelle ex-soviétique et rapporter 25 milliards de dollars à la Russie cette année.

Cela suffit-il pour autant à redorer l’image de la Russie sur l’échiquier international ?

Ça n’efface pas l’affaire Navalny. Mais effectivement, les pays qui vont recevoir le vaccin russe ne vont pas se demander s’il vient d’un pays démocratique ou d’un pays autoritaire. Ils vont se demander s’il est efficace ou non. Or, apparemment, il fonctionne. Cela ne réhabilite pas totalement l’image de la Russie, mais en partie oui. Et pour Poutine, c’est un succès intérieur et un succès international.

Pourquoi les pays occidentaux ont-ils été autant secoués par cette pandémie ?

Pendant longtemps, les Occidentaux avaient un quasi-monopole en termes de vaccin. Les Occidentaux ont souffert pendant la crise, d’un point de vue sanitaire. Ils se sont dit, peut-être un peu trop rapidement, qu’une épidémie de ce type ne pouvait avoir lieu qu’en Afrique ou en Asie et que le monde occidental était à l’abri de cela. Ils ont eu la cruelle désillusion de voir qu’il n’en était rien. Résultat : ce n’est pas nous qui allons envoyer des vaccins en Russie, mais nous qui allons peut-être acheter ces vaccins aux Russes.

L’Union européenne, vivement critiquée sur sa gestion de la vaccination, peut-elle malgré tout sortir plus forte de cette crise ?

L’UE a quand même réagi sur le volet économique avec son plan de relance. Les sentiments anti-européens ont diminué et on le voit en Italie, avec Matteo Salvini qui soutient Mario Draghi.

Sur le pan de la vaccination, s’il n’y a pas d’accélération, ce sera au détriment de l’image de l’Europe. On a sécurisé des doses, mais encore faut-il qu’elles arrivent et qu’elles soient réparties assez vite, car oui, aujourd’hui l’Europe est légèrement en retard. Et elle n’est pas en mesure d’agir à l’image des États-Unis qui ont déployé une sorte d’économie de guerre pour fabriquer des vaccins sur une large échelle. On parle de 100 millions d’Américains qui seraient vaccinés courant mars. On n’en est pas là en Europe.

Pour la France, c’est un échec du point de vue de la recherche…

C’est un échec symbolique relativement important et douloureux. Pour le pays de Pasteur, ce n’est pas très réjouissant de voir que nous sommes en retard en termes de vaccination et très en retard en termes de découverte du vaccin.

Maintenant, il faut s’interroger sur le fait que le géant pharmaceutique Sanofi a été largement aidé financièrement par l’État mais licencie malgré tout en distribuant des dividendes plantureux. Il faudrait vérifier que les investissements, tant au niveau français qu’au niveau européen d’ailleurs, réalisés vers le privé soient justifiés en fonction de ce que cela rapporte à la collectivité.