À propos de « Rouge carbone » de Laurent Fabius

Laurent Fabius était ministre des Affaires étrangères lorsque furent signés les accords de Paris en décembre 2015. Ces accords sont assez largement considérés sur le plan intérieur comme le plus grand succès diplomatique de la présidence Hollande et sur le plan international comme le point haut du multilatéralisme, avant que ce dernier ne soit attaqué de toutes parts et fortement mis à mal, notamment par Donald Trump qui a eu pour priorité de dénoncer ses accords. Sans être climatosceptique, Laurent Fabius n’était pas particulièrement sensibilisé à ces questions lorsqu’il est arrivé au Quai d’Orsay. Il s’est rapidement convaincu de l’importance de ces enjeux et en a fait la priorité absolue. S’il a bénéficié d’un bon alignement des planètes, la Chine faisant sa conversion à la lutte contre la dégradation climatique et les États-Unis étant prêts à s’engager dans un document international sous la présidence d’Obama, il est indéniable que Laurent Fabius a su mobiliser les compétences du Quai d’Orsay pour parvenir à un succès qui tranchait avec les échecs des sommets précédents. Ce bon alignement des planètes et le volontarisme de la diplomatie française ont permis que pour une fois le terme de communauté internationale revête une certaine signification concrète et ne soit pas une formule vide de sens.

Laurent Fabius a écrit ce livre au moment où les accords de Paris étaient largement remis en cause non seulement par le président américain, mais également par celui du Brésil et par le Premier ministre australien. Si l’arrivée de Joe Biden au pouvoir permet d’être moins pessimiste, il ne suffit cependant pas pour verser dans un optimisme débridé.

En réalité, la communauté internationale ne respecte pas les objectifs pris en 2015.

L’auteur souligne certains points positifs, tels que l’immense mobilisation des nombreuses villes, de citoyens, de la jeunesse, mais, d’un autre côté, 2019 aura été l’année de records mondiaux désastreux sur les niveaux de chaleur ou les émissions de gaz à effet de serre. Et en 2020, la crise du COVID-19 est venue ajouter un élément supplémentaire d’inquiétude. Il souligne pourtant que le monde a montré face au coronavirus qu’il pouvait réagir puissamment et urgemment quand il le décide. Mais hélas dans les réponses économiques à la crise sanitaire, il y a un risque d’oublier l’impératif climatique. Et le risque serait de passer de « l’effet de serre à l’effet de four ».

Certes, les entreprises et leurs dirigeants sont de plus en plus sensibles à l’intérêt de ses financements (finance durable) afin de protéger l’environnement, mais aussi afin d’éviter le risque physique d’une destruction d’actif s’il y a une catastrophe naturelle, le risque financier de rater la transition énergétique, et le risque de mise en responsabilité juridique pour leurs actions ou leur inaction.

Parmi les facteurs de blocage, il y a bien sûr le poids des énergies fossiles. Fabius s’interroge : est-il admissible qu’il y ait encore pour plus de 300 milliards de dollars de subventions aux énergies fossiles ? La seule élimination de ces subventions génèrerait 10 % de la réduction des émissions de gaz à effet de serre nécessaire au respect de l’accord de Paris.

De surcroît, « le réchauffement climatique est un accélérateur d’inégalités et réciproquement les personnes et les régions les plus exposées et les plus vulnérables sont aussi celles dont la capacité de réponse est la plus limitée si on oublie la dimension sociale de ces questions, on risque d’échouer à les traiter. »

Les objectifs des accords de Paris – pas plus de 1,5°C d’augmentation de la température d’ici 2100, la neutralité carbone au milieu du siècle, des finances et des technologies mises par les pays riches au service des pays en développement, etc – seront-ils atteints ?

Laurent Fabius propose une méthode pour y parvenir.

Un mélange d’incitation et d’obligation, et des résultats périodiquement et régulièrement évalués. La tendance des dirigeants politiques à privilégier le temps court de leur mandat au temps long de l’histoire de leur pays et des relations internationales ne plaide pas en ce sens. A l’inverse, l’engagement très net des nouvelles générations sur leur choix (de vie, de formation, de métier, de consommation, d’entreprise…) peut redonner un peu d’optimisme.

Après avoir décrit de façon pédagogique et accessible les enjeux de ce dossier majeur, l’auteur conclut « Entre possible et impossible, deux lettres et un état d’esprit. »

 

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