Les mémoires de Barack Obama (4/5) : galerie de portraits

Dans cette série de cinq articles, j’aborde au fil de l’eau les mémoires de Barack Obama, « Une terre promise », parues aux éditions Fayard le 17 novembre 2020.

Dans ses mémoires Barack Obama nous livre un certain nombre de portraits, souvent savoureux, avec très régulièrement une ironie cruelle, mais qui sont fondamentalement intéressants d’un point de vue politique.

Il dresse par exemple le portrait d’Hillary Clinton, qui n’a pas été toujours fair-play avec lui, notamment au cours des primaires démocrates qui les ont opposés et que Barack Obama a remportées à la grande surprise d’Hillary Clinton, qui pensait que cette nomination lui était due. Mais Barack Obama a eu l’intelligence de l’associer au cours de son mandat en la nommant secrétaire d’État. Il estime en effet qu’elle disposait du carnet d’adresses et des compétences pour une telle fonction. Il a donc su à son égard jeter la rancune à la rivière et plutôt être dans la réconciliation que de maintenir une querelle ce qui est symptomatique de sa philosophie. Il reconnaît par ailleurs que la partie n’a pas été facile pour Hillary Clinton entre son rôle de première dame, devant suivre la carrière de Bill qui n’a pas toujours été correct avec elle, et les nombreuses attaques qu’elle a reçues, notamment en tant que femme. Lui étant attaqué en tant que noir, il pouvait dans une certaine mesure comprendre la position et les difficultés de H. Clinton au cours de sa vie politique.

La presse française s’est déjà délectée des termes peu amènes que Barack Obama a eus à propos de Nicolas Sarkozy. L’ancien président américain à, en Europe effectivement plus de respect pour Angela Merkel, même s’il lui reproche de ne pas avoir assez investi sur la relance lors de la crise de 2009. Il regrette en ce sens que Nicolas Sarkozy n’ait pas eu assez de poids pour l’aider à faire bouger Merkel à ce moment-là. Il écrit à son propos « Dans la mesure où il n’était pas suffisamment organisé pour définir un projet clair pour son pays, je ne voyais pas comment il allait y parvenir pour le reste de l’Europe. »

Il explique par ailleurs comment il a limité les dégâts de l’intervention américaine concernant la Libye, mais il regrette néanmoins cette opération. Il écrit « j’étais agacé de m’être fait coincer par Sarkozy et Cameron qui cherchaient en partie à arranger leur image dans leur pays et je n’éprouvais que du mépris envers l’hypocrisie de la Ligue arabe. »

Il n’est pas tendre non plus avec Poutine même s’il entend ses récriminations sur la façon dont la Russie a été humiliée dans les années 1990. Il ne balaie pas cet argument d’un revers de la main comme beaucoup de responsables occidentaux. Il admet effectivement que la Russie a été maltraitée, mais il présente Poutine comme « le Premier ministre d’un pays qui avait pris la tête de ce qui ressemblait autant à un syndicat du crime qui a un gouvernement traditionnel, un syndicat dont les tentacules s’enroulaient autour de chaque aspect de l’économie du pays ». Il a un peu plus de respect pour Medvedev qu’il présente comme étant plus ouvert plus pro-occidental, mais en même temps il n’a pas trop d’illusions.

De façon plus surprenante, il n’est pas non plus très tendre avec Lula : « Il était disait-on aussi scrupuleux qu’un boss new-yorkais de la grande époque des magouilles de Tammany Hall [sorte de mafia new-yorkaise] et des rumeurs circulaient à propos du gouvernement faisant état de copinage, d’accords de complaisance, de pots-de-vin s’élevant à plusieurs milliards. »

Il estime que le choix de prendre Sarah Palin comme colistière pour McCain était une erreur que lui-même dû regretter par la suite parce qu’autant McCain avait des principes autant elle n’en avait pas. Obama fait démarrer de sa campagne alors, que Palin était sur le ticket avec McCain, le début des fake news. Il écrit « La nomination de Palin était troublante à un niveau plus grave. J’ai remarqué dès le début qu’une très grande majorité de républicains se fichait pas mal de ses incohérences. Chaque fois qu’elle se décomposait face aux questions d’un journaliste, ils semblaient même y voir la preuve d’un complot gauchiste contre elle ». Il poursuit « C’est bien entendu un signe avant-coureur de ce qui allait advenir par la suite. Les prémices d’une réalité plus diffuse, plus sombre dans laquelle les affiliations partisanes et l’opportunisme politique menaçaient de tout occulter : vos précédentes positions, vos principes revendiqués et même ce que vos propres sens, vos yeux et vos oreilles vous disaient pourtant être la vérité. »

Il est également très sévère sur Hosni Moubarak qu’il décrit comme étant totalement coupé de la population, de son peuple, de son pays et comme n’étant plus capable de comprendre les événements. Sa chute était inévitable parce qu’il n’était plus du tout en phase avec les réalités. C’est le fait du phénomène de cour, un phénomène de cour que Barack Obama décrit assez bien et dont il s’est toujours gardé. Effectivement Moubarak, comme de nombreux autres chefs d’État étaient devenus insensibles à la réalité à force d’être entouré de flatteurs.

Il dresse un portrait extrêmement élogieux du Premier ministre indien Singh, qui est au pouvoir lorsque Barack Obama est élu. Il écrit « un homme qui a développé le niveau de vie du pays tout en conservant une réputation d’intégrité parfaitement méritée. Un homme d’une sagesse et d’une droiture morale peu commune. » Mais il évoque les inquiétudes de Singh en même temps concernant l’avenir la démocratie en Inde du fait des attentats fomentés par un groupe aidé en sous-main par les services pakistanais. Singh craignait que l’islamophobie grandissante ne fasse le jeu du premier parti d’opposition le BJP nationaliste hindou, déclarant à Obama « Monsieur le président, dans les moments incertains la tentation de l’actualité religieuse ethnique peut se révéler grisante et il est très facile pour les politiciens d’exploiter ces situations en Inde comme ailleurs ». Effectivement, la dérive nationaliste que l’Inde va connaître par la suite montre bien que Singh avait raison.

Il ne cite personne dans ce passage, mais souligne les mœurs auxquels il a pu être confronté lors d’une visite en Arabie saoudite. Il arrive dans sa chambre il voit « disposé dans un écrin de velours un collier long comme la moitié d’une chaîne de vélo, incrusté de rubis et de diamants qui valait sans doute des centaines milliers de dollars, avec une bague et des boucles d’oreilles. J’ai relevé la tête et regardé Ben Edenis « c’est un petit cadeau pour votre dame » il a expliqué que d’autres membres de la délégation avaient ce type de cadeaux et de montres de luxe dans leur chambre. Apparemment personne n’a parlé aux Saoudiens de notre interdiction d’accepter des cadeaux. »

Last but not least, il fait le portrait de Joe Biden, qu’il évoque à plusieurs reprises et on voit qu’Obama a un réel respect et une réelle amitié profonde pour Joe Biden. Il raconte une réunion avec les chefs d’état-major du Pentagone au tout début de son mandat et Biden lui dit en sortant : « « Écoute patron, ça fait peut-être trop longtemps que je suis dans cette ville, mais il y a une chose que je sais reconnaître c’est quand ces généraux essaient de coincer un nouveau président. » Il a approché son visage à quelques centimètres et m’a soufflé « ne les laisse pas t’embrouiller. » »

Il dit dans le chapitre réservé à la traque et à la mort de Ben Laden, « Comme à chaque fois depuis début de ma présidence qu’une décision importante se présentait, j’appréciais la capacité de Joe à faire un pas de côté et à poser des questions qui fâchent, surtout pour me dégager l’espace mental dont j’avais besoin pour mes délibérations intérieures ». Donc Biden a la confiance d’Obama, c’est de bon augure alors que Biden va prendre la présidence. Par contre, lorsqu’il est question d’Anthony Blinken, futur secrétaire d’État de Biden, Obama le décrit comme plutôt du côté d’Hillary Clinton, toujours partisan d’une intervention militaire alors que Biden, qui avait été pour l’intervention militaire en Irak en 2003, s’est par la suite ravisé et était plutôt à ne pas vouloir forcer sur l’hégémonie libérale. On va voir comment les choses vont se passer à l’avenir.

Cet article est également disponible sur Mediapart Le Club.