À propos de « La révolution antiterroriste » de François Thuillier

François Thuillier a exercé de nombreuses responsabilités dans le monde du renseignement et de la lutte antiterroriste. Sur un sujet où il y a beaucoup de spécialistes autoproclamés dont l’expertise et parfois inversement proportionnel à leur disponibilité médiatique, il possède une connaissance réelle et intime.

Mais on peut se demander si les portes du débat public lui seront grandement ouvertes tellement son livre va à l’encontre de la façon dont le terrorisme y est traité. Ce n’est pas pour des raisons morales ou politiques que François Thuillier critique l’actuel politique antiterroriste et la façon dont elle est débattue en France, mais pour des motifs de réalisme. Selon lui, ce qui est fait est contre-productif et revient à faire le jeu de nos ennemis.

Il propose « d’opposer au bruit des attentats le silence monacal de la connaissance ». Trois forces selon lui jouent en sens contraire : la fascination pour la violence d’un Occident globalement pacifié ; La libéralisation des médias qui donne libre cours à l’information business ; L’instrumentalisation de la lutte antiterroriste par des régimes en crise d’autorité comme ultime moyen de créer de la cohésion nationale. Le terrorisme représente un formidable effet d’aubaine pour des pouvoirs devenus faibles et qui trouvent là un moyen immédiatement disponible pour remonter sur leur trône. Les médias amplifient donc les messages des terroristes en y ajoutant uniquement une parole d’expert dont l’expertise laisse parfois songeur.

L’auteur est aussi sévère avec les « juges d’instruction spécialisés souhaitant à eux seuls incarner la politique antiterroriste de tout un pays ». Il déplore que « la spécialisation de notre chaîne pénale a accordé aisément au terroriste ce qu’il attendait : un traitement de faveur » car « le terrorisme se nourrit avant tout de l’attention qui lui est réservée ». Il rappelle que le 9 décembre 1893, quand Auguste Vaillant lance une bombe dans l’hémicycle et cause de nombreux blessés, le président de la chambre des députés, Charles Dupuis, est lui-même atteint au cuir chevelu et se fait soigner sur place pour, au bout de quelques minutes, reprendre son siège au perchoir et déclarer de manière imperturbable : « Messieurs, la séance continue. Passons aux points suivants de l’ordre du jour ». Aujourd’hui, à l’inverse ce sont les terroristes qui semblent dicter l’agenda. Et cela, pour lui correspond au « besoin d’une classe politique, concurrencée par la force des marchés, de montrer qu’elle pèse encore sur l’histoire et garde intacte sa légitimité au travers de sa mission de protection, tout comme celui d’un milieu journalistique plongé dans un environnement concurrentiel dans lequel la course à l’audience ne s’embarrasse guère de formalités ».

« La France est en guerre ». Ses premiers mots prononcés par François Hollande le 16 novembre 2015 devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles n’ont pu que raisonner agréablement aux oreilles des cadres de Daech, enfin traités en égaux. Le 23 décembre 2017, le président de la République déclare : « la France est en guerre contre un nommé Iyad Ag Ghali ». François Thuillier note que « ce n’est pas faire injure à Monsieur Iyad Ag Ghali, par ailleurs chef de guerre Touareg ifoghas de son état, au contraire, que d’interpréter comme un bel hommage le fait d’être considéré par la cinquième puissance mondiale comme un adversaire à sa hauteur ».

La lutte contre la radicalisation est pour lui un concept erroné, importation irréfléchie de pratiques étrangères à notre tradition politique, recours précipité à de faux experts par copinage, communication contre-productive et absence d’étude d’impact en amont et d’évaluation en aval…

Par ailleurs, l’auteur déplore que la concentration de l’attention sur le terrorisme détourne l’attention d’autres attaques tout aussi, voire plus sérieuses. « Les entreprises de déstabilisation économique, écologique, sanitaire, idéologique et notre souveraineté politique passe le plus souvent sous les radars de l’information qui leur préfère les bonnes grosses violences physiques plus facile à mettre en scène. » Il note « le curieux paradoxe de voir le terrorisme finalement occuper une place marginale dans le paysage des violences sociales mais une place à part dans la hiérarchie des dangers ».

Bref, il reproche au système actuel d’être plus guidé par l’émotion, souvent instrumentalisé, que par la raison. Et cela n’est pas seulement gênant d’un point de vue intellectuel, c’est contreproductif par rapport au résultat recherché. Je plaide moi-même depuis longtemps pour une réflexion commune (politiques, médias, experts) de la façon dont on doit traiter le terrorisme, pour satisfaire les désirs légitimes du public d’être informé, sans pour autant servir de caisse de résonance au terrorisme.

Il ne faut, face à la menace terroriste, ni être dans le déni, ni dans l’alarmisme paniqué qui nourrit son agenda. Le livre contribue utilement à une réflexion sur la meilleure façon de relever ce défi.

 

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