« Trump, syndic de faillite de l’hégémonie libérale ? » (5/5) – La faillite de l’hégémonie libérale

A l’occasion de la parution de mon dernier ouvrage Requiem pour le monde occidental aux éditions Eyrolles, je publie une série d’articles d’analyse portant sur l’hégémonie libérale et la politique extérieure de Donald Trump.

 

La stratégie d’hégémonie libérale est vouée à l’échec, parce qu’elle est basée sur une conception erronée de l’état du monde, qu’elle surévalue la capacité des États-Unis à avoir un impact positif sur les autres sociétés et qu’elle sous-estime la capacité d’acteurs plus faibles à contrecarrer la politique américaine.

En 2016, les États-Unis se sont engagés à défendre plus de pays que jamais dans leur histoire tout en essayant de pacifier des pays lointains et de mener des opérations antiterroristes dans de nombreux pays. Mais pour Stephen Walt (auteur de The hell of good intentions) : « La sphère d’influence de l’Amérique n’a jamais été aussi grande, bien que l’influence que les États-Unis exercent dans ces endroits soit loin d’être claire »

Walt estime par ailleurs que l’élargissement de l’OTAN est une erreur dramatique, car il a inutilement crispé la Russie. Pour Walt, l’intérêt des États-Unis est de décourager la coopération entre la Chine et l’Iran, ce qui implique une autre politique vis-à-vis de l’Iran. Il faut mettre fin au réflexe d’envoyer des armes à l’allié local, à celui de décréter des no-flying zones, ou encore de lancer des menaces.

Les États-Unis doivent réduire leurs engagements extérieurs et s’attacher aux enjeux domestiques. Au lieu de cela, toutes les administrations depuis la fin de la guerre froide se sont lancées dans une ambitieuse stratégique d’hégémonie libérale. Libérale parce qu’elle se fait au nom de valeurs démocratiques et de la promotion des libertés. Hégémonique parce qu’elle part du principe que les États-Unis sont la seule « Nation indispensable » et qu’elle doit, pour son bien propre et pour celui du reste du monde, répandre ces principes. Mais, selon Walt, cette stratégie a empoisonné les relations avec la Russie et a entrainé les États-Unis dans les désastreux bourbiers afghans, irakiens et autres, coûtant des milliers de milliards de dollars et de nombreuses vies humaines et encourageant de nombreux acteurs, étatiques et non étatiques, à s’opposer aux États-Unis. C’est le résultat du « Blob », pour reprendre l’expression forgée par l’ancien conseiller national à la sécurité, Ben Rhodes, pour définir l’establishment stratégique de Washington (Beltway Establishment).

Les États-Unis ont des engagements de sécurité avec 66 pays. Ils déploient à l’extérieur 175 000 militaires dans des centaines de bases situées, à la fin de la présidence Obama, dans 130 pays. Ils ont dépensé 5 milliards de dollars pour « renforcer » la démocratie dans la seule Ukraine.

Même Obama n’a pas remis cela en cause. En 2016, sous la présidence du lauréat du prix Nobel de la paix 2009, les États-Unis ont largué 26 000 bombes sur 7 pays.

Ben Laden est mort, mais le « Benladisme » est bel et bien vivant. La guerre contre le terrorisme est une erreur catastrophique qui a accru l’instabilité mondiale et a été extrêmement coûteuse du fait d’une réaction de panique basée sur une mauvaise appréciation des réels dangers que court l’Amérique.

Les États-Unis se sont tenus à l’écart du monde après leur création, mais, au fur et à mesure qu’ils ont accru leur puissance, la tentation d’imposer l’ordre libéral s’est également accrue. Walt reconnait cependant certains succès de la diplomatie américaine post-guerre froide, à l’image du programme Nunn-Lugar destiné à assurer la sécurité nucléaire de l’ex-URSS ou encore la médiation entre l’Inde et le Pakistan dans la crise du Kargil en 1999, les programmes de lutte contre le SIDA en Afrique, la réconciliation avec Cuba et l’accord sur le nucléaire iranien. Mais ces succès sont survenus à chaque fois que les États-Unis ont fait prévaloir la négociation sur l’hégémonie.

Si l’expansion de la démocratie est l’objectif de la diplomatie américaine, la meilleure façon de le faire est de montrer un bon exemple d’offshore balancing. Les présidents de la guerre froide ont fait des erreurs dont la pire a été la guerre du Vietnam. Mais ils ont mieux agi que les quatre présidents de l’après-guerre froide. L’option alternative est l’offshore balancing, car Walt n’est pas isolationniste. Selon lui, il faut agir uniquement dans les quelques endroits du globe qui sont d’importance vitale pour la sécurité ou la prospérité des États-Unis et qui donc valent la peine de combattre et éventuellement de mourir. Contrairement à ce que pensent les isolationnistes, il y a trois régions lointaines qui sont très importantes pour les États-Unis : l’Europe, l’Asie du Nord-Est et le Golfe persique. L’objectif est d’empêcher un acteur local d’exercer une hégémonie sur ces régions comparable à l’hégémonie que les États-Unis exercent sur l’hémisphère occidental. Les acteurs locaux alliés des États-Unis doivent empêcher cette hégémonie d’apparaître et ce n’est qu’en cas d’échec que les États-Unis doivent déployer leur force.

Les États-Unis doivent intervenir militairement pour empêcher que n’émerge une puissance hégémonique régionale. Cela permet de limiter les ressources que Washington consacre à défendre des régions lointaines et de prolonger la position de prééminence des États-Unis. La guerre du Vietnam était clairement une violation de l’offshore balancing, car l’Indochine n’est pas dans le périmètre d’intérêt vital et que le Vietnam n’a pas d’impact sur l’équilibre global de puissance.

Mais si Walt critique le courant dominant, ceux qui ont regardé avec effroi et mépris Trump entrer à la Maison-Blanche, il n’en vient pas pour autant à soutenir ce dernier, loin de là. Trump a déclaré vouloir profondément modifier la politique étrangère américaine. Malheureusement, les mêmes politiques sont toujours en place. « Dans la guerre entre Trump et la tradition, c’est la tradition qui l’a emporté », rappelle Walt. On peut même dire que l’impact de Trump est globalement négatif. Les États-Unis continuent de poursuivre une grande stratégie mal guidée, le capitaine du navire étatique étant mal informé et incompétent.

 

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