Interdire Médine au Bataclan : une mesure injustifiée et contre-productive

Depuis le déclenchement de la polémique autour du concert programmé de Médine au Bataclan, je suis régulièrement interrogé sur la nature de nos liens et sur mon opinion de cette affaire. Plutôt que de réagir au coup par coup, je choisis de m’exprimer directement sur le sujet.

J’ai interviewé Médine à l’occasion de la parution du numéro 95 de La Revue internationale et stratégique, à l’automne 2009, qui avait pour thème « Un monde occidental en danger ? ». Ce fut notre première rencontre[1]. J’ai alors découvert un autodidacte ayant soif d’apprendre. Un peu plus tard, il prit contact avec moi pour me dévoiler son envie de publier un livre d’entretiens. J’acceptais avec plaisir, car je trouvais extrêmement stimulant d’échanger avec une personne d’une autre génération et d’un environnement professionnel et culturel différent du mien.

Nous avons eu plusieurs séries d’entretiens riches, stimulants, où nous avons mutuellement découvert un nouveau monde. Nous nous sommes également habitués au tempérament de l’autre et avons appris de nos différences. En 2011, nous publiions ensemble Don’t panik, aux éditions Desclée de Brouwer.

Bien entendu, nous avons des points de convergence, mais aussi de divergence, mais je n’ai jamais senti chez lui de discours haineux, que ce soit lors de nos entretiens, dans son répertoire musical que j’ai découvert plus pleinement, ou dans les différentes conférences communes que nous avons données pour la promotion du livre. Au contraire, je l’ai vu corriger les dérapages de certains de nos interlocuteurs. Il a d’ailleurs toujours condamné, par ses propos ou ses textes, le terrorisme.[2]

Médine est bien loin des clichés qui circulent sur le rap. Avec d’autres (Kery James, Youssoupha, etc.), il est porteur de textes engagés sur les questions sociales et sociétales, luttant contre les discriminations et toutes formes de racisme, mais aussi internationales.

En 2014, alors qu’il venait de se produire sur la scène centrale de la fête de l’humanité, nos chemins se sont séparés. Il a en effet rendu une visite publique à Kémi Séba qui, selon moi, tient un discours opposé au vouloir-vivre ensemble dont, Médine comme moi, nous réclamons. N’ayant pas les explications demandées, je publiais un tweet où je qualifiais cette rencontre – que j’avais vécue comme une trahison – d’erreur politique. À son tour Médine se sentit trahi par mon désaveu public. Nous ne nous sommes plus revus depuis.

Il n’en reste pas moins que si je pense que Médine a pu commettre des erreurs, celles-ci ne me paraissent pas de nature à l’interdire de chanter au Bataclan. Il est d’ailleurs loin d’être le seul à en avoir commises : de nombreuses personnes ont des propos racistes ou stigmatisants à l’égard des musulmans sans être privées de paroles publiques. Médine a-t-il déjà été condamné pour des propos racistes ? Pour apologie du terrorisme ? Pour délit sexuel ? Non.

Le fait de mettre à côté de l’annonce de son concert au Bataclan l’affiche de son album Jihad paru en 2005 est une manipulation grossière. Dans cet album, Médine évoquait un combat personnel (« le plus grand combat est contre soi-même ») et en aucun cas le terrorisme. Sa chanson Don’t laïk s’attaque à une vision agressive de la laïcité, et non pas à celle-ci en tant que telle. On ne peut par ailleurs réclamer le droit de critiquer l’islam et interdire tous propos sur la laïcité… Pourquoi cette liberté d’expression à géométrie variable, absolue s’il s’agit de s’exprimer contre les musulmans, et très strictement encadrée lorsqu’il s’agit de permettre à ces derniers une libre-expression ? Ce que certains ne supportent pas, c’est de voir un Arabe revendiqué musulman s’exprimer par lui-même sans demander la permission à d’autres, et être de ce fait un représentant reconnu par sa propre communauté. Comme à d’autres avant lui, ceux-là essaient donc de lui faire barrage.

Beaucoup se sont exprimés sur cette affaire en instrumentalisant de façon assez honteuse la douleur des parents et des victimes du terrorisme, sans d’ailleurs leur demander leur avis. Les responsables du Bataclan qui ont programmé Médine ont eux aussi été victimes de terrorisme.

Les associations de victimes sont partagées : l’une d’entre elles, 13ONZE15 fraternité, regrette la programmation de cet artiste en ce lieu et à cette date qu’elle juge « inopportune », quand une autre (Life for Paris) estime que le Bataclan « est complètement libre de sa programmation ». Mais aucune ne demande l’interdiction du concert et toutes s’indignent de l’instrumentalisation de leur cause par des responsables politiques auxquels ils reprochent un manque d’intérêt pour leur combat et leur douleur le reste du temps. Il est notable que la plupart de ceux qui réclament l’interdiction du concert de Médine soient en général connus pour leur hostilité à l’égard des musulmans. L’évocation du respect dû aux victimes semble ici être plus un prétexte que leur réelle motivation…

Au-delà des aspects moraux, évitions d’être contreproductif. Que veut-on faire face à la menace terroriste ? Ne pas céder à la division, rassembler la société française. Interdire le concert de Médine serait un message allant totalement à l’encontre de cet objectif, nourrissant l’idée qu’un musulman revendiqué et fier de l’être n’est pas légitime à participer à ce combat.

[1] Cf. entre autres « Enfants du destin ».

[2] Dans chaque numéro trimestriel, nous interrogeons une personnalité issue de la société civile s’intéressant aux questions internationales, sans pour autant être un professionnel de la géopolitique.

L’entretien est également disponible sur Mediapart Le Club