[La dépêche du midi] Mondial 2018 : les cinq grands défis de la Russie et de Poutine

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Comment évaluez-vous l’impact politico-médiatique d’une Coupe du monde de football par rapport aux Jeux Olympiques ?

Leur médiatisation et leur rayonnement sont comparables car leur écho est planétaire mais il y a cependant deux différences à mes yeux. Les JO sont plus universels dans la mesure où tous les pays participent, alors que seuls les pays qualifiés se retrouvent dans le tournoi final de la Coupe du mMonde (ndlr. 32 pays pour l’édition 2018). En revanche, les JO se déroulent dans une seule ville alors que la compétition de football est étendue à tout un pays. Dans tous les cas, ce sont des évènements médiatiques récurrents considérables, avec en termes d’audience, plusieurs records d’audience télévisée battus lors de la Coupe du Monde 2014 au Brésil, ce qui confirme que le football reste le sport le plus populaire au monde (ndlr. Au total une audience de 3,2 milliards de téléspectateurs à domicile).

Pas de boycott à l’horizon…

Il n’y aura pas en tout cas de boycott sportif. Les équipes nationales qui ont acquis de haute lutte leur qualification ne sont pas enclines à renoncer pour d’éventuelles raisons politiques. Et le pouvoir politique qui leur interdirait le voyage en Russie verrait sa cote de popularité chuter. En revanche, compte tenu des relations internationales de la Russie, il y aura au moins un boycott politique annoncé, celui du Royaume-Uni représenté par l’Angleterre. Après l’affaire de l’ex-espion empoisonné, Theresa May, Première ministre et les membres de la famille royale ne se rendront pas en Russie. Mais rien à voir avec les boycotts sportifs des JO de Moscou en 1980 par une cinquantaine de nations, dont les États-Unis, suite à l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS, ou des JO de Los Angeles de 1984 boycottés en rétorsion par une quinzaine de pays du bloc communiste, dont l’URSS.

ni, a priori, de matchs emblématiques comme Etats-Unis – Iran en 1998. La diplomatie du foot trouvera-t-elle à s’employer ?

Il aurait fallu qu’Israël et la Palestine se qualifient… Si l’on tient compte des équipes qualifiées, il faudrait que l’Iran et l’Arabie saoudite puissent se rencontrer. Mais les deux pays se retrouvent dans des poules différentes et il y a peu de chances qu’ils sortent des qualifications.

On peut imaginer que la Russie et Poutine jouent gros en termes d’image…

La Russie est une démocratie libérale autoritaire mais il ne faut pas tomber dans la caricature, Poutine bénéficie d’une réelle popularité, sa réélection triomphale ne peut pas simplement s’expliquer par le bourrage des urnes. Aux yeux des Russes, il a restauré la fierté et le prestige du pays et on peut dire qu’il est aussi populaire en Russie qu’il est impopulaire en Occident. Pour les Russes, l’enjeu c’est que l’estime d’eux-mêmes à l’issue de la compétition soit supérieure à ce qu’elle était avant ! Il faut pour cela répondre à cinq défis complexes dont un non maîtrisable…

Vu les performances de l’équipe russe, le non maîtrisable, c’est la compétition sportive elle-même…

Effectivement, le non maîtrisable, c’est le défi sportif. Ce sera l’humiliation si l’équipe russe ne sort pas des poules de qualification, voire si elle échoue en huitièmes de finale à domicile. Il faut dire que jusqu’à présent, l’équipe nationale n’a pas beaucoup donné de signes de confiance !

Quels sont alors les défis que vous pensez plus «maîtrisables» par la Russie ?

D’abord en termes d’image, l’organisation de la compétition, les infrastructures, les stades, les télécoms, les transports, l’accueil. On peut penser que les Russes sont prêts. Ensuite, la prévention des hooligans, encore tristement actifs lors de l’Euro à Marseille. Ils sont connus, contrôlés, répertoriés par les autorités. Le risque devrait être maîtrisé. Plus difficile à contrôler en revanche, les cris et insultes racistes dans les tribunes qui seraient très mal vécus par la communauté internationale, la Fifa et les pays africains. Il y a enfin le défi de la sécurité en général, mais le risque zéro n’existant pas, l’exigence est la même pour tout le monde. On l’a vu au Brésil lors de la dernière Coupe du monde, un pays pas particulièrement touché par le terrorisme, mais les policiers et militaires étaient partout. Tout événement sportif mondialisé est confronté au défi sécuritaire et c’est évidemment une préoccupation majeure du pouvoir russe. Comme c’était la préoccupation majeure de la France en 2016 pour l’Euro et comme ce sera celle du Japon avec les JO de 2020.

(*) Ses deux derniers ouvrages : « L’empire foot » (Armand Colin), et « Planète football », une bande dessinée en collaboration avec David Lopez, dessinateur.