N. Sarkozy : « Tout pour la France » : quelle vision du monde ?

Nicolas Sarkozy vient de publier « Tout pour la France » [1], un livre-programme pour les prochaines élections présidentielles de 2017.

À la lecture de l’ouvrage, une première interrogation vient à l’esprit : qu’en est-il de la politique étrangère française ? Il n’y a pas réellement un chapitre consacré au sujet, mais celui-ci est évoqué à divers moments. Cela étant, ces passages sont très marqués par le contexte immédiat : les questions d’identité, d’islam et de terrorisme sont centrales. Il n’y a pas de grands dégagements globaux ou conceptuels sur la place de la France dans le monde et le rôle spécifique éventuel qu’elle pourrait y jouer. Sur ce point, N. Sarkozy et François Hollande sont en phase : les deux évitent le sujet. Pensent-ils que cela n’intéresse pas les électeurs ? Sans doute !

Il s’en prend au concept « d’identité heureuse » mis en avant par Alain Juppé, sans citer ce dernier, dénonçant les « accommodements raisonnables pas souci prétendu d’apaisement ». On en vient selon lui à ce qu’il n’y ait plus une seule France mais « une agrégation de communautés d’identités particulières, où le droit à la différence devient plus important que la communauté de destin » [2]. Il regrette l’obligation faite à la France de « cesser de chercher à assimiler ceux qui venaient d’ailleurs » [3], préférant l’assimilation à l’intégrationEn l’état actuel, ce rappel à l’ordre vigoureux peut plaire à un certain nombre d’électeurs. Mais est-ce vraiment la tradition française ? Notre pays a-t-il voulu vraiment effacer les différences ? Ne peut-on pas au contraire avoir une identité multiple et être Français d’origine italienne, espagnole, portugaise, polonaise, etc. ? S’il ne faut pas nier les origines chrétiennes de la France, il faut également admettre qu’elles ne sont pas uniques. Car la dénonciation de communautarisme par N. Sarkozy ne touche qu’une seule communauté : les musulmans. Comme si les Français d’origine diverse avaient été totalement assimilés, n’avaient conservé aucune spécificité et que seuls les musulmans, dans leur globalité, faisaient tâche dans le paysage.

Il prône l’interdiction du voile, y compris à l’université, parce qu’il pense qu’il ne s’agit pas d’un choix libre mais d’une pression communautaire et familiale qui est devenue « si pesante qu’en fait ces jeunes filles sont infiniment moins libres qu’on ne le dit ». « C’est l’exemple typique », écrit-il, « de la tyrannie d’une minorité »[4]. Malheureusement, il ne précise pas quelle enquête de terrain ou étude sociologique lui permet de l’affirmer. Car les travaux existants en sciences sociales ne vont pas dans ce sens.

Il admet que la mondialisation n’est pas un choix que l’on peut refuser. Mais ce constat ne conduit pas à s’interroger sur le débat de l’islam en France (qui nous rend impopulaire à l’étranger), mais à proposer de supprimer l’impôt sur la fortune… [5]

En parlant de la guerre sans merci contre le terrorisme, il écrit que « le djihadisme nous a déclaré une guerre totale, qu’il déploie sur un champ de bataille qui ne connaît aucune frontière ». Dénonçant une politique qui se contente « des minutes de silence, des jours de deuils et des discours », il préconise « d’agir vite et fort » [6]. « Contrairement aux dix commandements reçus par Moïse au Mont Sinaï, l’État de droit n’est pas gravé pour l’éternité dans les tables de pierre » [7]. Il propose même de porter « une réforme de la Convention européenne des droits de l’homme afin qu’elle ne fasse plus obstacle à l’expulsion systématique des étrangers condamnés à une peine d’emprisonnement de plus de cinq ans, à l’issue de leur détention » [8]. Cela risque d’être relativement délicat à obtenir. Il ajoute que, si « tous les amalgames sont insupportables (…) à l’inverse, la naïveté est coupable. Il y a bien une question spécifique à l’islam. Les appels au djihad n’émanent pas, à ma connaissance, des églises ou des synagogues, pas davantage des temples protestants. »[9] Mais peut-on croire que seules des mesures répressives pourront venir à bout du terrorisme ? Y-a-t-il des exemples réussis du tout sécuritaire ? Mettre en cause de façon répétée et systématique les musulmans ne revient-il pas, au contraire, à alimenter indirectement la cause de Daech, qui dénonce précisément l’impossibilité de vivre sa foi en terre mécréante ? N. Sarkozy est muet sur les causes du terrorisme et les stratégies politiques à mettre en œuvre.

Mais son propos, s’il est très centré sur l’identité et le terrorisme, évoque d’autres sujets.

Il se prononce contre le traité de libre-échange avec les États-Unis estimant que depuis 2012 « jamais la France ne fut aussi suiviste des États-Unis et jamais elle n’a pas eu si peu d’influence auprès d’eux ». [10] De la part de celui qui s’auto-désignait « Sarko l’américain », c’est une forte déclaration. Mais, à part sur le TAFTA (Transatlantic Free Trade Agreement) –que la France vient de rejeter – on ne sait pas sur quels dossiers se fonde. N. Sarkozy pour reprocher à F. Hollande son « suivisme » à l’égard des États-Unis. Il estime que les élargissements européens des années 1990 ont été prématurés et se prononce contre tout nouvel élargissement, en premier lieu celui qui pourrait concerner la Turquie [11].

Il propose, dans la lutte contre Daech, de convaincre Vladimir Poutine d’agir en commun avec les Occidentaux et de lever les sanctions contre la Russie. Il s’oppose à toute intervention militaire terrestre occidentale Il estime que « seuls des Arabes pourront combattre d’autres Arabes »[12]. Il s’élève contre ceux qui proposent de rompre avec l’Arabie Saoudite, l’Iran, les Émirats Arabes Unis ou le Qatar : s’il y a désaccord avec ces pays, ils demeurent nos alliés dans la lutte contre les terroristes dont ils sont également les victimes, estime-t-il[13]. Ce n’est pas inexact, mais on est frappé par la différence de jugement entre les musulmans de ces pays et les musulmans français.

Il estime que « nous avons bien agi militairement en Libye », mais qu’ « à partir de 2012, nous avons failli à maîtriser les conséquences politiques de cette action » [14]. On pourrait demander un peu plus d’introspection sur les résultats de cette expédition catastrophique, qui, entre autres malédictions (chaos libyen, répercussions au Sahel, développement du terrorisme) est l’une des causes de blocage russe sur la Syrie. Moscou, qui s’était abstenue sur le vote de la résolution 1973, s’est senti trahie lorsque la mission est passée de la protection de la population à un changement de régime.

Les limites de l’exercice de ce livre, c’est que N. Sarkozy prend en compte ce qu’il croit être porteur en politique intérieure (islam, identité, terrorisme), sans dégager de perspectives globales à long terme pour le rayonnement de la France. Et on peut craindre que les mesures proposées risquent de nous faire entrer dans un cercle vicieux stigmatisation/radicalisation, le remède venant aggraver le mal au lieu de le combattre.

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[1] SARKOZY (Nicolas), Tout pour la France, Plon, 2016, 240 pp.

[2] Ibid., p. 17.

[3] Ibid., p 59.

[4] Ibid., p 63.

[5] Ibid., p 101.

[6] Ibid., p 182.

[7] Ibid., p 183.

[8] Ibid., p 186.

[9] Ibid., p 186.

[10] Ibid., p 137.

[11] Ibid., p149.

[12] Ibid., p192.

[13] Ibid., p 193.

[14] Ibid., p 194.