« Quand la gauche se réinventait » – 3 questions à Bernard Ravenel

Bernard Ravenel, agrégé d’histoire, fut chargé des relations internationales du Parti socialiste unifié (PSU) de 1974 à 1984. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son ouvrage : « Quand la gauche se réinventait : le PSU, histoire d’un parti visionnaire 1960-1989 », aux éditions La Découverte

Quels ont été les combats spécifiques du PSU sur le plan des relations internationales ?

Le PSU s’est créé pour pallier les « carences », la « trahison » de la gauche classique dans la lutte contre la guerre d’Algérie. En 1956, le Parti communiste français (PCF) et la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) avaient voté en faveur des pleins pouvoirs pour le gouvernement socialiste de Guy Mollet. Ce dernier va alors intensifier la guerre. Pour le nouveau parti, il s’agit de défendre le principe socialiste du droit à l’autodétermination des peuples, principe abandonné par la SFIO mais aussi par le PCF (sans oublier le soutien du PCF à l’intervention soviétique en Hongrie). Cette origine anticoloniale caractérisera par la suite la politique internationale du PSU, en particulier concernant la question palestinienne, l’Afrique du Sud et la Kanaky.

La politique internationale du PSU a été dès le départ définie par la bataille pour le désarmement nucléaire et par la création dès 1963 du Mouvement contre l’armement atomique (MCAA). La spécificité de ce mouvement résidait dans le refus de la force de frappe française et des bombes américaine et soviétique. Cette orientation est restée inchangée pendant toute l’existence du PSU, tandis que la gauche historique adhérait à la bombe française après s’y être opposée… Par son refus de la logique des blocs – qui pouvait mener à la guerre nucléaire – le PSU se situait dans le mouvement des pays non-alignés, à la recherche d’un modèle de développement indépendant des deux grandes puissances « impériales ». Le refus constant de la bombe se fondait sur le caractère personnalisé d’une telle menace : la décision de massacre était et reste concentrée entre les mains d’un seul homme… Rien n’est moins démocratique. Ce choix est contradictoire avec le développement d’une force de dissuasion populaire. En outre, le problème de la sécurité des armes de dissuasion devient le véritable objet de la défense au détriment de la sécurité de la population.

Vous écrivez (p.235) « S’il y eut un bonheur PSU, ce fut Lip[1] ». Pourquoi, ce projet n’a-t-il pas essaimé au niveau national ou international ?

La lutte des Lip a eu un impact national et même international exceptionnel. Plusieurs entreprises ont tenté la même expérience (7 ou 8), par exemple Cerizay, (fabrication de chemises) en Vendée. Il y eut des tentatives de réunir ces entreprises pour mutualiser ces expériences mais elles disparurent assez vite. Selon Lip, cela est dû au développement d’un chômage de masse à partir de 1976. Les ouvriers ont donné la priorité à la défense de l’emploi plutôt qu’à l’engagement dans un processus type Lip, qui leur semblait trop dur et risquait de leur faire perdre définitivement leur entreprise, et par conséquent leur emploi, sans espoir d’en retrouver un autre. Il faut aussi prendre en compte les particularités de la situation de Lip dans une région ayant une forte tradition de lutte et de culture socialiste. Besançon est la ville de Proudhon et de Fourier et le Jura a vu naître les premières « fruitières » qui sont des coopératives agricoles. Les militants PSU de Lip (Piaget, Vittot, etc.) ont été formés dans cet esprit « coopératif » dans le syndicalisme chrétien (CFTC et CFDT). Une histoire exceptionnelle !

Si le PSU était récréé aujourd’hui, quelles seraient ses priorités internationales ?

Celles qu’un temps avait formulé Obama : le règlement de la question palestinienne et la constitution d’une zone exempte d’armes de destruction massive au Moyen-Orient. Le PSU recréé essaierait de se donner les moyens de soutenir durablement les acteurs du printemps arabe, événement de portée historique. Il aurait essayé de mettre en relation les forces socialistes émergentes en Europe (Syriza, Podemos, la nouvelle direction du Labour Party avec Corbyn et des groupes encore limités en Italie, en Allemagne, au Portugal) pour discuter des possibilités d’une autre politique économique et sociale européenne, un « néo-keynésianisme » à l’échelle européenne, y compris pour prendre en compte la problématique de l’immigration de masse et la transition énergétique hors nucléaire. Évidemment, il aurait questionné le fonctionnement actuel d’une l’Europe qui n’est aux yeux du PSU qu’un simple « marché commun ».

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[1] Face à la menace de la fermeture de leur usine, les ouvriers de Lip saisissent le stock de montres et en assurent la vente. Ils reprennent la production, donnant un exemple fort d’autogestion.